Le colloque organisé par la Cramif donne la parole à des collectivités territoriales, des fédérations professionnelles et une association de victimes de l’amiante afin d’aborder les problématiques spécifiques au risque amiante. Lors de cette première table ronde cinq intervenants prennent la parole.
Xavier Faure, animateur
Je vais appeler tout de suite à me rejoindre Alain Bobbio. Vous êtes secrétaire national de l'Association des défenses des victimes de l'amiante (ANDEVA).
Ensuite, Hervé Sageot, vous êtes ingénieur conseil au sein de la Cramif.
Chantal Graziani, vous êtes responsable du service allocation amiante de la Cramif.
Ensuite, François Pialot vous êtes médecin conseil à la direction régionale du service médical (DRSM).
Et puis le professeur Jean-Claude Pairon, vous êtes professeur au Centre Hospitalier Intercommunal de Créteil.
On avait dit pour commencer cette table ronde qu'on commencerait un premier tour de table de présentation. Peut-être Hervé Sageot.
Présentation des intervenants
Bonjour à toutes et à tous. Hervé Sageot, je suis ingénieur conseil à la caisse régionale d'assurance maladie d'Île-de-France depuis une vingtaine d'années. Au fil des ans, j'ai été responsable de l'antenne de prévention de Paris, responsable du laboratoire de toxicologie industrielle, responsable du service formation à la prévention. Je m'occupe aujourd'hui de dialogue social, j'anime un Comité Technique Régional et ponctuellement j'interviens sur des dossiers de reconnaissance de maladies professionnelles.
Bonjour à tous, je suis Chantal Graziani. Je suis la responsable du département amiante à la Cramif. Je viens d'arriver à la Cramif à la tête du département le 1er mars 2022. J'étais avant sur la branche retraite dans l'institution de la Sécurité sociale.
Bonjour. Jean-Claude Pairon, je suis professeur d'université en médecine et santé au travail à l'UPEC, l'Université Paris-Est Créteil et chef de service de pathologies professionnelles et de l'environnement au Centre Hospitalier Intercommunal. Et je travaille dans le champ de l'amiante depuis un certain nombre de dizaines d'années maintenant et, en particulier, ça a été évoqué par Monsieur Clair tout à l'heure, j'assure le pilotage d'un programme nommé ARDCo pour Asbestos-Related Diseases Cohort c'est à dire une cohorte de personnes antérieurement exposées à l'amiante dont le suivi est assuré depuis le début des années 2000 avec le soutien de la Cramif.
François Pialot, je suis médecin conseil à l'Assurance Maladie au niveau de la direction régionale du service médical. Je suis chargé du pilotage de toutes les activités pour les 8 départements d'Île-de-France qui sont en lien avec le risque professionnel. Et je suis responsable du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles d'Île-de-France Je m'intéresse au suivi des pathologies liées à l'amiante au sein de l'Assurance Maladie depuis les années 97.
Alain Bobbio, je suis secrétaire national de l'ANDEVA l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante et président de l'Association départementale des victimes de l'amiante, c'est-à-dire l'ADDEVA 93 en Seine-Saint-Denis. L'ANDEVA s'est créée en 1996, j'ai adhéré l'année de sa création, ça fait un quart de siècle. Et elle a joué un rôle important à la fois dans la création du FIVA et du dispositif ACAATA. Et dans des évolutions majeures de la jurisprudence sur la faute inexcusable de l'employeur et sur le préjudice d'anxiété.
Xavier Faure
Comme disait David Clair effectivement il y a un temps de latence important entre le moment où les gens sont exposés, le moment où effectivement il y a la reconnaissance de la maladie professionnelle. Il y a des coûts inhérents qui sont colossaux, j'ai bien retenu David Clair que vous parliez d'1,6 milliards d'euros. Donc, ce sont des coûts extrêmement importants.
Ce qu'on avait dit en préparant cette table ronde cher public c'est que vous allez voir aussi il y a des petites présentations PowerPoint, on est en direct ensemble. Et on avait dit que vous pourriez commencer Hervé Sageot par exposer le dispositif de reconnaissance des maladies professionnelles.
La reconnaissance des maladies professionnelles
Hervé Sageot
Alors, cette diapositive présente un tableau de reconnaissance de maladies professionnelles. Les caractères sont tout petits, vous ne pouvez pas les lire et c'est bien voulu ainsi. Les diapositives suivantes présenteront des zooms avant pour permettre d'en prendre mieux connaissance. En effet, la reconnaissance des maladies professionnelles dans le cas du régime général de la Sécurité sociale s'appuie pour l'essentiel sur des tableaux. Les tableaux, il y en a plus de 100 : le numéro le plus élevé aujourd'hui c'est le numéro 102, pour les cancers de la prostate imputables à l'exposition aux pesticides.
Il y a deux tableaux pour aider les caisses primaires d'assurance maladie à reconnaître les maladies dues à l'amiante. Ce sont les tableaux 30 et 30 bis. Et donc le tableau que vous ne pouvez pas lire actuellement à droite de la diapositive, c'est le tableau 30.
Voici maintenant un extrait de la colonne de gauche de ce tableau 30. Donc c'est la colonne médicale du tableau puisqu'on y désigne les maladies. La première maladie du tableau 30 c'est l'asbestose, une fibrose pulmonaire. Et le tableau dispose qu'il faut produire, qu'il faut que la victime produise des signes radiologiques spécifiés, donc il y a bien d'un examen médical prescrit une radio de telle sorte qui vient à l'appui de la demande de reconnaissance de maladie professionnelle.
La deuxième colonne, c'est la colonne légale ou administrative. On voit ici un délai de prise en charge. C'est la durée maximum entre la fin de l'exposition du salarié à l'amiante, dans le cas présent, et le certificat médical initial qui constate la maladie pour laquelle il demande reconnaissance.
Dans le cas de l'asbestose, il s'agit de 35 ans. Ça veut dire que si la déclaration de la maladie survient plus de 35 ans après la fin de l'exposition, la maladie ne rentre pas... Tous les critères du tableau ne sont pas remplis. Et la reconnaissance ne pourra pas se faire par présomption d'imputabilité.
On voit une deuxième notion ici, c'est la durée d'exposition. Non seulement il faut que le délai entre la fin d'exposition et la déclaration de la maladie soit inférieure à 35 ans pour l'asbestose, mais il faut de surcroît pour que les conditions du tableau soient remplies que le salarié ait été exposé deux ans au moins aux fibres d'amiante.
Enfin, il y a une troisième colonne : il y a la liste des travaux, il y a la maladie, il y a la durée d'exposition, mais il y a aussi la liste des travaux qui ont pu conduire le salarié, malheureusement, à développer cette pathologie. Cette liste peut être limitative ou indicative. Indicative, ça veut dire que la caisse primaire peut, sur tableau, reconnaître la maladie si d'aventure les travaux réalisés par le salarié ont été sensiblement proches de ceux mentionnés dans la liste indicative.
Si c'est la liste limitative qui est indiquée dans le tableau, et c'est par exemple le cas du tableau 30 bis, le deuxième tableau de l'amiante, à ce moment-là il faut impérativement que les travaux effectués par le salarié correspondent aux travaux mentionnés dans la colonne 3 du tableau.
Alors maintenant qu'on a vu ce qu'était un tableau, en une seule diapositive, comment ça se passe ?
Le salarié, ou ses ayants droit si malheureusement le salarié n'est plus en capacité de faire lui-même la demande, adresse une déclaration de maladie professionnelle. Cette déclaration de maladie professionnelle contient le formulaire lui-même de déclaration de maladie professionnelle, un certificat médical qui permet d'établir que le salarié est bien victime d'une pathologie reconnaissable. Et, enfin de tous les éléments que le salarié est à même de produire à l'appui de sa demande : par exemple des témoignages de collègues disant qu'il a travaillé dans tel ou tel atelier et qu'à ce titre il a bien été exposé à la nuisance. La caisse primaire d'assurance maladie réalise une enquête médicale et administrative pour permettre de mieux savoir si effectivement les critères du tableau sont respectés. Le service prévention des risques professionnels de la Cramif apporte des éléments techniques pour compléter le dossier.
Nous intervenons, ingénieurs conseils et contrôleurs de sécurité dans les entreprises.
Sensiblement, 10 000 interventions en entreprises et sur chantiers chaque année. Nous recueillons à cette occasion des éléments d'information sur les nuisances auxquelles les salariés sont exposés.
Nous documentons ces nuisances dans des rapports de visite et ces rapports de visite sont convenablement archivés sous format papier hier, sous format électronique aujourd'hui, de telle sorte que les ingénieurs qui examinent ces dossiers de reconnaissance de la vie professionnelle au sein de la Cramif sont capables d'avoir accès à une cinquantaine d'années d'historique. Et peuvent documenter dans des cas bien précis les expositions ponctuelles réelles. Nous conservons aussi la mémoire des plans de retrait amiante qui nous ont été adressés, et dans le cadre de l'amiante nous savons, le cas échéant, si le bâtiment dans lequel le salarié a travaillé contenait de l'amiante, si postérieurement, l'amiante a été retirée.
Ensuite, deux possibilités : soit la maladie du salarié coche tous les critères du tableau, auquel cas la caisse primaire peut prendre directement sa décision, soit la maladie coche certains critères du tableau mais pas tous, soit la maladie n'est pas mentionnée dans un tableau mais a produit au moins 25 % d'incapacité permanente du salarié, auquel cas c'est le Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, typiquement le médecin conseil régional de la Sécurité sociale, un médecin inspecteur du travail et un professeur hospitalier universitaire spécialiste du sujet qui se réunissent et produisent un avis en fonction de leurs compétences et de tous les éléments contenus dans le dossier d'autre part. Et cet avis s'impose à la caisse primaire d'assurance maladie qui, ensuite, reconnaît ou pas la maladie professionnelle correspondante.
Voilà ce que je voulais vous dire, mais je profite de ce dernier transparent pour mentionner l'existence du FIVA, on peut difficilement organiser un colloque amiante sans dire un mot du Fond d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante. Le FIVA instruit une douzaine de milliers de dossiers par an, indemnise à hauteur de sensiblement 270 millions l'année dernière les gens victimes de l'amiante, qu'ils soient salariés ou pas, et ce fond est abondé notamment très largement par la sécurité sociale.
DEMAT@MIANTE : c'est un applicatif disponible sur Internet porté par le ministère du travail dont la Cramif a été à l'initiative qui permet désormais aux entreprises de l'amiante de saisir en ligne leur plan de démolition, de retrait ou d'encapsulage amiante. Ces données sont portées à la connaissance des caisses régionales d'assurance maladie, de l'inspection du travail, de l'ARS, des organismes certificateurs des entreprises de retrait d'amiante... de telle sorte que demain on aura un accès complètement exhaustif au plan de retrait amiante, et ça permettra d'enrichir les mécanismes de reconnaissance que je vous ai présenté.
Et enfin, l'ACAATA est un autre dispositif lorsqu'on parle de reconnaissance et d'indemnisation des salariés de l'amiante, mais je n'en dirai qu'un seul mot : le titre, c'est « l'Allocation de Cessation Anticipée d'Activité des Travailleurs de l'Amiante », puisque c'est ma collègue qui va le présenter en détail.
Xavier Faure : Hervé Sageot, vous faites la transition toute trouvée. On a quelques présentations pour vous cher public et ensuite on va discuter tous ensemble autour de ces sujets. Chantal Graziani, parlons de ce fond de cessation d'activité anticipée. Vous avez aussi une petite présentation pour le détailler et pour nous clarifier les idées.
L’Allocation de Cessation d'Activité Anticipée des Travailleurs de l'Amiante (ACAATA)
Chantal Grazi
Aujourd'hui, l'allocation, le dispositif ACAATA vous l'avez sous deux appellations. Soit l'appellation Allocation de Cessation d'Activité Anticipée des Travailleurs de l'Amiante, et puis, une appellation qui est son appellation administrative qui dit exactement de quoi est faite l'allocation, et ce pourquoi elle est là. Et puis l'ATA, qui est l'Allocation des Travailleurs de l'amiante. Vous trouvez ce dispositif sous ces deux appellations.
J'ai une préférence pour l'ATA parce qu'elle part directement des travailleurs de l'amiante, et c'est vraiment leur allocation. C'est une allocation qui est relativement récente, elle a 22 ans.
Elle est née en 1999. Elle était destinée, au départ, aux assurés qui étaient malades de l'amiante, et puis, elle a été naturellement étendue aux assurés qui couraient le risque de développer une maladie professionnelle et qui voyaient par la même leur espérance de vie statistiquement réduite. Aujourd'hui, ce dispositif s'adresse à quatre grandes familles de salariés ou d'anciens salariés.
On a les anciens salariés ou les salariés des établissements de fabrication ou de traitement de l'amiante. On a les salariés ou anciens salariés des établissements de construction de réparation navale. On a les ouvriers dockers et le personnel portuaire assurant la manutention. Et enfin, ceux qui nous intéressent plus particulièrement aujourd'hui, les assurés qui sont malades de l'amiante et qui sont reconnus au tableau dont parlait mon collègue précédemment.
J'ai indiqué quelques chiffres : en 2022, nous avions à la Cramif près de 5 500 allocataires. À savoir que le dispositif est assuré aujourd'hui par deux organismes en France : la Cramif et la Carsat Sud-Est, donc ça fait à peu près un petit peu moins de 8 000 allocataires.
Les modalités d'accès : il y a une proposition d'âge, un temps d'exposition, il y a la condition que l'établissement dans lequel on a eu le temps d'exposition est listé par arrêté ministériel. Et il faut également que la profession soit listée par le même arrêté. C'est en constante évolution parce qu'il y a régulièrement des arrêtés d'extension. Comme on reconnaît des maladies supplémentaires, on va reconnaître aussi des établissements qui entrent dans les arrêtés ministériels, qui entrent dans la liste des établissements exposants ou ayant exposés leurs salariés.
Quelques principes : l'ATA, l'Allocation des Travailleurs de l'Amiante, c'est un revenu de substitution. C'est un revenu que l'on verse aux bénéficiaires à partir de 50 ans en cas de maladie professionnelle et jusqu'à l'âge où l'assuré atteint le taux plein à sa retraite personnelle, à savoir que nos assurés font encore partie des assurés qui sont éligibles à une retraite à partir de 60 ans ou de 65 ans sans condition de trimestre. Elle est versée aujourd'hui, en ce qui nous concerne pour la Cramif et la Carsat du Sud-Est, pour les salariés du régime général.
Il y a d'autres régimes qui peuvent verser une prestation liée à l'amiante en France, l'ENIM par exemple, que l'on appelle la caisse de retraite des marins, la SNCF, EDF, GDF et d'autres organismes et, évidemment, le FIVA, lui, indemnise toutes les typologies de personnes exposées sur demande et sur dossier.
Xavier Faure
Jean-Claude Pairon, effectivement vous êtes en contact avec les gens qui sont malades de l'amiante et on voit toute la difficulté que décrivaient Hervé Sageot et Chantal Graziani de repérer ces maladies, de les affecter à l'activité professionnelle. Est-ce que vous pouvez témoigner de ces contacts que vous avez ?
Les écueils pour une reconnaissance en maladie professionnelle
Jean-Claude Pairon
Alors, effectivement, je vais essayer d'illustrer les problèmes qui peuvent se poser. On m'a demandé de centrer le propos sur les écueils pour une reconnaissance en maladie professionnelle. Ça a été évoqué tout à l'heure, quelles sont les maladies liées à l'amiante que l'on connaît aujourd'hui ?
Vous avez sur la première ligne des maladies bénignes, Monsieur Sageot a évoqué l'asbestose qui est la fibrose du poumon. Il y a l'amiante, les plaques pleurales qui sont la manifestation de loin la plus fréquente après exposition à l'amiante, puis les fibroses de la plèvre viscérale qui recouvrent différentes affections, qui est beaucoup plus rare que les plaques pleurales. Et puis il y a des cancers.
Ces affections qui sont en bleu sur la partie supérieure de la diapositive peuvent être connues dans le tableau 30. Et puis, les deux cancers du milieu, cancer du poumon et mésothéliome, peuvent également être connus en maladie professionnelle avec un dispositif que je qualifierais « de simplifier » puisqu'on applique la présomption d'origine. Et puis, il y a deux autres cancers qui sont le larynx et l’ovaire, dont on sait qu'ils peuvent être liés à l'amiante. Pour l'instant, il n'y a pas de tableau, ce qui va poser quelques difficultés pour leur reconnaissance, sur lesquelles je reviens dans un instant et il est en effet question, l'ANSES a produit un rapport appelant à ce que ces cancers puissent être l'objet d'une reconnaissance.
Et puis, sur la partie gauche de la diapositive, il y a un certain nombre d'autres cancers pour lesquels actuellement il y a des questions et il y a des controverses dans la littérature. Et nous avons eu l'occasion notamment de les documenter via le programme ARDCo que j'ai brièvement évoqué tout à l'heure, c'est surtout des cancers digestifs, plus les cancers du pharynx.
J'ai séparé en maladies cancéreuses et maladies non cancéreuses parce que les difficultés pour l'obtention d'une reconnaissance ne sont pas tout à fait les mêmes. Les maladies cancéreuses, les deux premières mésothéliome et cancer du poumon, font l'objet de tableaux. Et les deux dernières vont nécessiter le recours au Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, dont le docteur Pialot nous parlera après, puisque pour l'instant il n'y a pas de tableau.
Pour le mésothéliome pleural je dirais que le principal obstacle à leur reconnaissance, c'est, qu'à l'heure actuelle, il y a une sous-déclaration de cette affection. Donc, sur la période 2013-2016, les estimations du nombre de cas incidents de mésothéliome pleural en France, qui ont été calculées par Santé publique France, c'est de l'ordre de 1 100 cas annuels.
Et vous avez sur la diapositive le nombre de cas qui sont reconnus en maladie professionnelle dans le cadre du régime général qui est de loin le régime qui couvre un maximum de personnes dans notre pays, et dont on s'aperçoit que c'est aux alentours de 400 cas par an. Or, on sait que pour le mésothéliome la fraction qui est attribuable à l'amiante qui ne serait pas survenue sans exposition à l'amiante, elle est plus de 80 % chez l'homme, elle est plus modeste chez la femme. Donc, le nombre total attribuable, qui a été calculé dans une publication récente, est de l'ordre de 800 cas, donc, vous voyez de suite qu'il y a un franc écart entre l'estimation épidémiologique et le nombre de cas reconnus.
On a vu notamment dans le programme ARDCO que, en dehors du mésothéliome, un certain nombre d'assurés mettent du temps avant de se décider à déclarer leur maladie même lorsqu'on leur a affirmé qu'elle était là.
Un deuxième point que je voulais souligner à propos du mésothéliome. C'est une maladie dont le diagnostic est assez difficile, ce qu'on appelle l'anatomie pathologique, c'est-à-dire l'affirmation du diagnostic avec la nécessité d'emploi d'un certain nombre de marqueurs de manière à certifier la maladie, mais l'expérience que l'on a eu dans le cas du programme national de surveillance du mésothéliome qui est piloté par Santé publique France c'est que, lorsque le diagnostic est confirmé, l'immense majorité des cas, lorsqu'ils formulent une demande, fait l'objet d'une reconnaissance. On voit que chez ceux qui ont un diagnostic confirmé et qui sont exposés, c'est plus de 90 % dès lors qu'ils formulent une demande de reconnaissance. Mais on s'est aperçu qu'il y en a à peine plus de 60 % qui formulent cette demande.
Dans le cas du cancer du poumon, on constate à nouveau ce phénomène de sous-déclaration, puisque, là encore, il y a des estimations épidémiologiques qui font état du nombre de cas de cancers du poumon qui ne seraient pas survenus sans les expositions à l'amiante. Cette fraction attribuable et nettement plus élevée chez les hommes que chez les femmes, ce qui est assez logique puisqu'ils n’ont pas du tout occupé les mêmes emplois. Mais on voit que l'on arrive à 2 800 cas par an homme et femme réunis.
À l'heure actuelle, on est aux alentours, dans le régime général, d'un millier de cas à peu près de cancers qui sont reconnus en maladie professionnelle. Alors il y a une sous-déclaration mais il est vrai que pour le cancer du poumon, notamment, il y a des difficultés de l'enquête administrative, ça a été évoqué tout à l'heure. Il y a une double démarche médicale et administrative lorsqu'une déclaration est effectuée parce que ce sont souvent des expositions très anciennes. Et il est évidemment indispensable que l'intégralité du parcours professionnel soit balayée de façon à repérer ces expositions antérieures. Ce n'est pas nécessairement et c'est même rarement le dernier emploi qui est en cause, ce sont des emplois antérieurs qui ont occasionné cette exposition qu'il convient d'essayer de quantifier le mieux possible : est-ce que c'était des situations qui exposaient de façon élevée ? Est-ce que c'était une fois par an ? Une fois par mois ? Une fois par semaine ? Tous les jours ?
Et puis on dispose de quelques outils sur le plan médical pour essayer de mieux documenter ces cas à exposition incertaine.
Les deux derniers cancers dont je voulais parler c'est le larynx et l'ovaire.
Là, c'est plus compliqué puisqu'il n'y a plus de présomption d'origine. Et il est clair que tant qu'il n'y a pas de tableau, pour statuer sur un cancer du larynx exposé à l'amiante, on est obligé de prendre en compte tous les facteurs auxquels le sujet a été exposé et en particulier son tabagisme dont on sait qu'il joue un rôle majeur par rapport à la survenue du cancer du larynx. Donc affirmer le lien direct et essentiel s'avère compliqué. Pour le cancer de l'ovaire, là encore je ne suis pas en mesure de quantifier la sous-déclaration. C'est un cancer qui est quand même beaucoup plus rare vous voyez ici les estimations épidémiologiques. Là encore, il va falloir faire rentrer dans la culture médicale la recherche de cette exposition antérieure qui est certainement loin d'être très habituelle.
Pour les maladies non cancéreuses, qui sont rappelées sur la partie gauche de la diapositive, on sait qu'il y a actuellement une sous-utilisation des dispositifs médico-sociaux. Je voudrais insister sur à nouveau deux points : le premier, c'est l'importance d'une qualité d'interprétation de l'examen TDM thoracique, c'est d'ailleurs le scanner thoracique quand on dit qu'il faut qu'il y ait une affirmation radiologique en 2022 clairement c'est un scanner thoracique, et il y a des grilles d'interprétation qui ont été proposées par la Haute Autorité de Santé de manière à ce qu'il n'y ait pas d'équivoque sur l'interprétation des anomalies sur le scanner, et qu'il faut certainement promouvoir, pour qu'il y ait une plus juste reconnaissance de ces affections. On est à nouveau confronté à ces difficultés d'enquête administratives pour ces expositions très anciennes. Il ne faut certainement pas se contenter du dernier emploi et de l'emploi précédent mais couvrir la totalité de la carrière professionnelle. Sinon effectivement, on risque de passer à côté d'expositions antérieures. Pour l'asbestose, j'ajouterai que c'est une affection qui s'observe pour des expositions élevées. Donc, là encore, être le plus rigoureux possible dans l'enquête administrative.
En guise de synthèse les difficultés de reconnaissance en maladie professionnelle sur ces maladies liées à l'amiante, je dirais la première difficulté c'est une recherche non systématique des expositions pour certaines maladies qui sont multifactorielles. Je pense, notamment, au cancer du poumon et à l'asbestose qui n'est rien d'autre qu'une fibrose du poumon. Il y a plein de fibroses du poumon qui surviennent actuellement, seules celles liées à l'amiante s'appellent asbestose. Donc là, je jette la pierre du côté du corps médical qui doit vraiment systématiquement y penser face à un patient qui a soit un cancer du poumon soit une fibrose pulmonaire, est-ce que c'est une affection liée à l'amiante ? Le réflexe est beaucoup plus facile pour le médecin quand il est face à un mésothéliome parce que c'est très spécifique des expositions antérieures à l'amiante. Les plaques pleurales c'est très spécifique.
Tout médecin va immédiatement penser aux expositions à l'amiante.
Le deuxième point, c'est cette sous-utilisation des dispositifs de réparation. Donc il faut sensibiliser les acteurs de santé qui sont parmi les personnes les plus à même de convaincre les gens de faire valoir leurs droits sociaux et puis une nécessité de qualité à la fois des dossiers médicaux : j'ai parlé des plaques pleurales et de l'interprétation du scanner thoracique, la confirmation des tumeurs notamment du mésothéliome. Et puis sur l'exposition, vraiment faire décrire les tâches qu'ont effectuées les salariés. Un simple intitulé d'emploi est insuffisamment descriptif. Récupérer des témoignages d'anciens collègues, c'est utilisé par la Sécurité sociale quand il y a des collègues qui expliquent effectivement qu’ils faisaient telle ou telle tâche c'est pris en compte. Et puis, je pense qu'on va avoir l'occasion d'en reparler, la complexité des enquêtes administratives quand on a affaire à des expositions très anciennes puisque la plupart de ces maladies liées à l'amiante surviennent 30 ans après l'exposition voire plus tard.
Xavier Faure
Merci à vous Jean-Claude Pairon, pour continuer effectivement docteur François Pialot, finalement on voulait vous demander comment fonctionne le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles ? Puisqu'on voit que c'est là qu'est toute la difficulté.
Le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP)
Docteur François Pialot
Je vais compléter les propos de Jean-Claude Pairon avec des difficultés véritablement médico-administratives et surtout administratives. Et les petites particularités qui font un peu obstacle à la reconnaissance de certains types de pathologies.
Vous l'avez compris la présomption d'origine bénéficie aux cas qui finalement sont reconnus au niveau des départements. Donc sans qu'il y ait de problème au niveau des versants administratifs des tableaux.
Le comité régional de reconnaissance de maladies professionnelles est finalement l'aboutissement des demandes qui n'ont pas pu être reconnues en département. Et Hervé Sageot vous l'a bien montré au niveau des tableaux, une petite partie particularité c'est que les pathologies bénignes liées à l'amiante sont situées dans le tableau 30 pour lequel il s'agit de listes indicatives des travaux depuis un décret de 2019, les caisses primaires n'ont plus la capacité de pouvoir faire des refus pour absence d'exposition au risque. Et donc, le problème qui existe, c'est bien dans le cas où l'exposition au risque amiante ne peut pas être prouvée et dans certains cas, lorsqu'on a également des notions d'exposition environnementale donc non professionnelle. Dans ces cas-là, ces pathologies qui sont pourtant prévues dans un tableau font l'objet d'une possibilité d'orientation au comité régional au CRRMP dans le cadre hors tableau et avec la condition qui a été exposée qu'il faut que le taux de séquelles de ce type de pathologies soit supérieur à 25 %. Ce qui amène à constater que les pathologies bénignes (plaques pleurales, épaississement, et grand nombre d'asbestoses) n'atteignent pas ces taux et ne peuvent pas être présentées au CRRMP et donc « échappent » à la réflexion quant à la reconnaissance des maladies professionnelles.
Xavier Faure
Oui, il y a des discussions qui émergent j'imagine. Quel est le temps de d'instruction de ces dossiers ?
Jean-Claude Pairon
À partir du moment où par exemple une demande se ferait pour une plaque pleurale, donc lésions bénignes, sans aucune exposition à l'amiante avérée, la seule alternative est l'instruction en hors tableau administrativement. Or, ces pathologies-là n'ont pas des taux supérieurs à 25 % donc n'aboutissent pas au comité régional. Les refus se font à ce niveau-là avec toute l'insatisfaction des assurés sociaux par rapport à des décisions qu'ils ne comprennent pas forcément bien entendu.
Xavier Faure
Merci, on va revenir à vous. On va terminer ce tour de table avec Alain Bobbio.
L'Association départementale des victimes de l'amiante - ADDEVA 93
Alain Bobbio
C'est ce qu'on disait, c'est toutes les difficultés de reconnaissance. L'activité d'une association c'est une activité multiforme. On s'occupe de la pré-retraite amiante, du suivi médical, de la prévention... J'aborderai aucun de ces sujets, je vais concentrer mon intervention sur l'aide que peut apporter une association à la reconnaissance, à l'indemnisation d'une maladie d'origine professionnelle ou/et environnementale. Si vous souhaitez avoir des renseignements plus détaillés, vous pouvez vous procurer ce guide amiante qu'a édité l'ADDEVA 93. Ce guide amiante existe sous forme de fichier PDF, donc très facilement diffusable. Il existe aussi sous forme papier.
Je voudrais, pour commencer, rendre hommage à notre secrétaire d'ADDEVA 93 qui nous a quitté le 1er septembre 2022, c'était un militant qui vivait depuis 6 ans sous oxygène et qui a continué jusqu'au bout de ses forces à faire le travail pour l'association. C'est une figure. Une de ses tâches, c'est qu'à chaque assemblée générale nous avons pour usage d'égrener les prénoms des victimes qui nous ont quittées dans l'année écoulée, et puis de faire une minute de silence. C'est une tâche qui lui incombait à lui et l'an prochain nous égrènerons son nom avec les autres.
Donc, une association de victimes c'est une association loi de 1901 mais assez différente de la majorité des associations loi de 1901 parce qu'elle est au contact direct de personnes en grande souffrance. Et ceci s'explique par la nature de certaines pathologies et notamment des cancers dont le pronostic est très sombre. Pour un mésothéliome, malgré les espoirs et les promesses de l'immunothérapie, la médiane de survie n'a pas beaucoup dépassé un an. Les personnes qui sont atteintes de cette maladie ou leur famille trouvent ce type de données très facilement sur internet. Donc, il y a une part d'angoisse très importante commune à toutes les associations de victimes mais avec un plus. C'est à dire que très rapidement les personnes qui sont atteintes prennent conscience qu'elles sont victimes non pas de la fatalité mais d'une catastrophe sanitaire majeure évitable. C'est à dire que c'est la soif du profit chez un certain nombre d'industriels, leur volonté de dissimuler la dangerosité de leurs produits, qui a provoqué cette catastrophe sanitaire qui, à ce jour, 25 ans après, n'a toujours ni responsable ni coupable. Donc on a chez les gens qui viennent nous voir aussi des réactions de colère, de rage, d'insatisfaction qui sont tout à fait compréhensibles. Mais pas de soif de vengeance, curieusement. C'est-à-dire que c'est pas la vendetta, c'est tout simplement la volonté que les générations futures ne vivent pas les horreurs qu'un certain nombre d'entre eux ont vécu.
L'association n'est pas une administration c'est une association qui doit développer deux qualités qui vont rarement ensemble : la première, c'est la rigueur dans la gestion des dossiers parce qu'il y a une responsabilité, il y a des enjeux financiers. Et la deuxième, qui est au même niveau, c'est de développer des qualités d'écoute, d'empathie et une fonction qui est difficile à assumer par d'autres qui est d'aider des personnes en grande souffrance qui ne voient plus l'avenir à remonter la pente. Et ça, c'est un processus qui n'est pas simplement un processus psychologique individuel. C'est le fait de pouvoir être écouté par des personnes qui ont vécu les mêmes choses, c'est le fait de passer du statut de victime passive objet subissant à un statut d'actifs dans un cadre collectif.
Aujourd'hui, notre vice-président est aussi sous oxygène. Dans notre conseil d'administration, qui a 18 personnes, vous en avez 9 qui sont malades de l'amiante et vous en avez 9 qui ont perdu un collègue, un père, etc.
C'est quelque chose de particulier. Donc, je voudrais attirer votre attention sur le fait que, pour l'amiante, seulement vous avez une situation très particulière de dualité de dispositif d'indemnisation. Vous avez une sorte de tricotage entre deux logiques d'indemnisation qui deviennent pour des salariés complémentaires. Vous avez la même logique que tous les autres salariés qui est une réparation forfaitaire. Donc, on échange la présomption d'origine contre une réparation diminuée. Mais vous avez pour le FIVA une réparation intégrale, poste de préjudice par poste de préjudice. Et pour un salarié, par exemple un mineur de fond qui a aussi les poumons en mauvais état, il n'aura cette réparation préjudice par préjudice que s'il engage et qu'il gagne une action en faute inexcusable de l'employeur. Alors que pour le FIVA vous avez une réparation automatique en routine.
C'est pas seulement à ce niveau qu'il y a la différence, il y a aussi des différences majeures au niveau des ayants droits. Sont ayants droit au sens de la Sécurité sociale le conjoint, concubin pacsé et les enfants de moins de 20 ans sont ayants droit au sens du FIVA les enfants, le conjoint concubin pacsé, les enfants sans aucune limite d'âge, les parents sans aucune limite d'âge. Alors que en droit sécu c'est lorsqu'il y a des parents à charge et au domicile qu'on peut avoir ça. Les petits enfants, la fratrie et, de façon plus générale, toute personne susceptible de démontrer une proximité affective. Vous avez une architecture qui est complexe, où vous avez la maladie professionnelle, le versement d'un complément d'indemnisation avec d'autres règles par le FIVA, et la possibilité d'engager une action en faute inexcusable soit directement, soit au côté du FIVA dans le cas d'une action récursoire contre l'employeur fautif.
Il y a une simplicité apparente du dispositif d'indemnisation, il y a aussi un savoir-faire au niveau des associations pour déterminer une stratégie.
Je voudrais revenir sur quelques points rapidement : sous déclaration, sous reconnaissances, sous indemnisation. La sous déclaration a été évoquée par Jean-Claude Pairon, moi, je voudrais évoquer le non-recours au FIVA. C'est une situation aberrante que nous vivons aujourd'hui. Vous avez, au niveau du fond d'indemnisation, une indemnisation qui est relativement facile. Et une spécialisation. Or sur 1 100 cas dans l'année de mésothéliome, vous avez seulement la moitié (autour de 550) qui font l'objet d'une indemnisation par le FIVA même d'une demande simplement au FIVA.
Qu'est-ce que ça signifie ? Ça signifie que, alors que par exemple, pour une veuve il y a déjà tout le poids de l'accompagnement de fin de vie et du deuil, vous rajoutez un poids supplémentaire qui est des difficultés financières majeures parfaitement évitables quand on remplit un dossier. Donc ça doit nous interpeller, il faut absolument sortir de cette situation, il y a des choses que chacun peut faire à son échelle, Jean-Claude Pairon en a parlé. Nous, en ce qui nous concerne, on essaye d'informer non seulement les familles, mais le monde syndical, mais aussi le corps médical de façon à ce que cette information-là diffuse et qu'on sorte de cette situation.
Xavier Faure
Vous voulez dire Alain Bobbio qu'il y a des reconnaissances de maladies professionnelles, mais derrière il y a pas de déclenchement automatique du fond, du versement ?
Les difficultés de déclaration aux maladies professionnelles
Alain Bobbio
Je vais donner les raisons, mais il y a pire, c'est-à-dire vous avez peut-être pas loin du quart des personnes qui ont des pathologies bien identifiées et souvent assez émis qui ne sont indemnisées par aucune structure. Vous avez des gens qui ont la maladie professionnelle, qui ne font pas le FIVA mais vous avez des gens notamment dans les ayants droits qui ne font rien. Donc qui se retrouvent dans des situations de précarité financière majeures.
Xavier Faure
Parce qu'ils ne connaissent pas les démarches ?
Alain Bobbio
Alors, il y a la question de la méconnaissance des démarches mais il y a d'autres difficultés. Je vais dire des choses qui ne vont pas plaire, vous avez le manque d'information mais vous avez au niveau du corps médical un vice dans la formation. Il s'agit pas de mettre en cause des personnes, moi, j'ai eu la surprise de constater des médecins qui avaient été absolument formidables, exemplaires dans l'accompagnement et le parcours de soins et qui répondent non à la question « Pouvez-vous faire un certificat ? » Non, parce qu'ils comprennent qu'on leur demande de prouver d'engager leur honneur professionnel dans la reconnaissance « je certifie qu'il a été exposé à l'amiante ». C'est pas simple un certificat médical, c'est l'existence d'un lien possible ou probable entre l'exposition et la maladie. C'est très différent, c'est la caisse qui va prendre sa décision après enquête mais le médecin n'engage pas sa responsabilité lorsqu'il parle d'un lien possible.
Xavier Faure
Peut-être qu'on peut demander à Jean-Claude Pairon de réagir, on va revenir sur votre propos.
Alain Bobbio
Je souhaiterais sur la question pour faciliter la réaction, je souhaiterais égrener quelques classiques. Vous avez, par exemple, lorsqu'il y a décès, on doit faire un certificat de lien causal pour prouver que la personne n'est pas morte écrasée dans un accident de voiture, qu'elle est bien morte de sa maladie. Il y a des difficultés considérables pour obtenir ce certificat de bien causal : « j'étais pas présent au moment du décès ». Il y a des difficultés parce qu'on confond souvent les médecins de bonne foi consolidation et guérison. Vous me demandez de faire un faux, je sais que cette maladie aura une issue fatale et vous me demandez de dire qu'il est consolidé. Oui, parce que ça ne veut pas dire « guéri », ça veut dire qu'on peut évaluer sa situation. Donc, vous avez au lieu de certificat de lien causal, des certificats de mort naturelle, c'est hors sujet. La mort naturelle c'est par opposition aux meurtres ou aux suicides là, c'est pas ça qu'on demande, on demande de nommer la maladie et de dire qu'elle est à l'origine du décès. Donc je m'arrête là pour le moment, les médecins ne sont pas des ennemis pour nous, ce sont des alliés. Mais il y a un déficit de formation sur des questions clés qui concernent le médico administratif.
Xavier Faure
Jean-Claude Pairon, effectivement vous en parliez tout à l'heure en disant qu'il y a certaines maladies sur lesquelles il y a une évidence et il n'y a pas d'erreur possible et sur lesquelles les médecins vont tout de suite à l'arbitrage, mais il y a des choses pour lesquelles c'est plus complexe et sur lesquels des médecins manquent un peu de formation ?
Jean-Claude Pairon
Alors il y a au moins deux types de difficultés. Là où je rejoins monsieur Bobbio, c'est qu'effectivement quand il y a mésothéliome ou plaque pleurale tout médecin pense à l'exposition antérieure à l'amiante pour une obscure raison, effectivement, 100 % des mésothéliomes devraient faire une demande auprès du FIVA, ils ont des droits sociaux qui ont été votés par nos représentants nationaux, donc il y a un dispositif qui existe. Et pourtant c'est peu utilisé. C'est paradoxalement encore moins utilisé par les gens qui ne relèvent pas du régime général que par ceux qui sont dans le régime général. Ça été bien documenté. On a clairement montré que parmi l'ensemble des mésothéliomes qui sont inclus dans le programme national de surveillance de mésothéliome de Santé publique France il y a une hétérogénéité de déclaration aux maladies professionnelles d'un département à l'autre donc là, vu de loin, c'est très difficile à voir donc on s'aperçoit que toutes les personnes font pas de déclaration. Et ça varie d'un département à l'autre. Là, on peut penser qu'effectivement les patients sont insuffisamment informés de leurs droits. Et surtout le médecin, il a juste à certifier la nature de l'affection, on ne lui demande pas de certifier l'exposition. Même s'il certifie une exposition il peut éventuellement se faire attaquer parce qu'il ne peut pas certifier que la personne a été exposée, il n'était pas dans l'entreprise.
Xavier Faure
C'est peut-être ça la crainte du médecin, qui se dit : « moi je certifie l'origine » alors que ce n'est pas ce qu'on lui demande.
Jean-Claude Pairon
Absolument. Ceci étant, la pédagogie consiste à réaffirmer certains messages lors de congrès de pneumologie, d'oncologie, on réaffirme très régulièrement ce qui est attendu du médecin : c'est d'établir le certificat permettant d'attester l'affection. Mais pas de certifier l'exposition. Je sais que dans le service où je travaille, en général, dans le certificat, et là il y a les représentants de la Sécurité sociale autour de moi, bien souvent on mentionne que sur la base des données d'interrogatoire on essaye de cibler les périodes sur lesquelles doit porter l'enquête administrative. Pour justement ne pas se contenter du dernier emploi ou des deux derniers emplois. Dire « faites attention, de 1968 à 1975, on pense qu'il y a pu avoir une exposition ».
Et pour les plaques pleurales c'est pareil, il y a des droits sociaux oui, c'est une affection très bénigne. Mais, encore faut-il faire valoir les droits. Quand on regarde les statistiques de maladies professionnelles c'est vrai que, quand on regarde au fil du temps, on se dit ça diminue et qu'au cours des 15 dernières années, ça a eu tendance à diminuer. En fait, les cancers bronchiques ils ne diminuent pas, ils sont relativement stables au fil du temps bien qu'étant toujours sous-évalués par les chiffres des cas qui font l'objet de reconnaissance. Les mésothéliomes ne diminuent pas et ils sont en dessous de la réalité. Ce qui diminue, ce sont les affections bénignes mais elles diminuent assez vraisemblablement parce qu'il y a moins de scanners pratiqués chez les gens antérieurement exposés et comme on trouve que ce que l'on cherche effectivement, on en identifie moins.
Xavier Faure
Ça passe sous les radars. Pour revenir à vous Hervé Sageot ou Chantal Graziani, on voyait cette difficulté qu'il y a en termes de reconnaissance des dossiers qui remontent. Il y a le décalage entre ce qu'on disait : les personnes qui sont exposées, les personnes sur lesquelles il y a un lien, et puis les personnes qui vont au bout de la démarche, est-ce que vous avez des chiffres au niveau administratif ? Comment ça marche ?
Le traitement des dossiers
Hervé Sageot
Alors, c'est une démarche administrative et médicale structurée qui prend du temps. Et donc, on comprend que dans certains cas les victimes, les personnes malades trouvent cette reconnaissances extrêmement difficile à... de manière typique il y a une première durée de trois mois dans laquelle la reconnaissance doit être réputée acquise, et, si la caisse primaire n'a pas répondu à ce moment-là effectivement c'est une reconnaissance par défaut. S'il y a besoin d'une enquête complémentaire, et c'est souvent le cas, ça fait une période de trois mois supplémentaires. Ça comprend la reconnaissance du CRRMP. Pour autant, en six mois, on a quelque chose de structuré, d'efficace, qui permet dans le respect des textes qui s'imposent à nous de prononcer ou pas cette reconnaissance.
Chantal Graziani
Nous, nous intervenons en bout de chaîne puisque une fois que la reconnaissance est établie nous pouvons instruire le dossier de mandat location sans aucun problème. En revanche, là où je rejoins les propos de tout le monde, c'est sur la difficulté de l'enquête administrative, nous, nous retrouvons ça dans l'instruction de nos dossiers où souvent pour prouver la période d'exposition, l'assuré doit nous fournir des documents qui sont très anciens ou on fait également appel à des témoignages. On a cette difficulté-là, beaucoup de documents qui sont très anciens.
Xavier Faure
Est-ce que vous avez une idée de la moyenne, c'est une question que j'ai envie de vous poser c'est le temps qui est demandé de recherche, c'est 20 ans ? 25 ans ? 30 ans ?
Chantal Graziani
C'est ce que je vous disais, on intervient en bout de chaîne. Donc, une fois que le dossier est constitué, la maladie est reconnue, on peut procéder à la demande d'allocation. Donc je ne peux pas vous répondre là-dessus.
Hervé Sageot
Les tableaux professionnels, c'est la colonne du milieu, indique bien une durée maximale entre la fin d'exposition et la reconnaissance. Cette durée elle peut être de 30, 35 ou 50 ans, on est amené à essayer de reconstituer la totalité du parcours professionnel du salarié qui est victime pour recueillir le maximum d'éléments à l'appui de sa demande.
Xavier Faure
Donc il y a une enquête qui est réalisée.
Alain Bobbio
Je ne suis pas venu pour ça mais je vais continuer à dire des choses qui peuvent fâcher. Il y a des difficultés objectives et il y a des difficultés évitables. La difficulté objective, c'est le temps de latence. Ça, c'est incontournable et c'est tout à fait vrai ce qu'a dit Jean-Claude Pairon, faire des recherches à 30, 40 ans de distance c'est quelque chose qui demande un savoir-faire, qui demande du temps, qui demande de l'écoute. Une association qui a une certaine ancienneté sait faire ça et le fait le mieux possible parce qu'elle a sa position qui lui permet d'avoir des contacts plus faciles avec le monde syndical, avec les autres associations, éventuellement en province avec des sources bibliographiques.
On peut, au prix de pas mal de temps, documenter soigneusement des expositions professionnelles. C'est passionnant à faire. Et il y a des choses qui sont des problèmes évitables. Nous avons rencontré la Caisse nationale d'Assurance Maladie récemment, nous lui avons fait part de grandes inquiétudes sur ce qu'il se passe avec les dernières dispositions. Il y a eu du changement, par exemple ça n'est pas 3 mois plus 3 mois, c'est 4 mois mais il y a eu un changement positif qui va dans le sens d'un raccourcissement des délais, d'un accès plus facile au dossier pour ceux qui maîtrisent l'informatique et même à certaines pièces du dossier qu'on n'avait pas avant mais, il y a quelque chose qui va dans le sens du tout informatique. Ça, appliqué quand on a l'âge moyen d'un mésothéliome à 74 ans, ça ne marche pas.
On a actuellement quelque chose qu'on ne peut pas qualifier autrement que comme une dérive, une déshumanisation dans le traitement des dossiers parce que, pour des raisons financières, la question de l'enquête dont on a parlé l'enquête soigneuse, etc. les consignes nationales qui sont données c'est que l'enquête est l'exception, la règle, c'est le questionnaire et le questionnaire appauvri, fait passer à côté de choses très importantes. On ne prend pas le temps, vous avez même des caricatures qui sont des coups de fil à l'entreprise, à l'employeur, pour lui demander s'il y a de l'amiante et très souvent la réponse est « non ». Mais ça, ce n'est pas une enquête. Donc je pense qu'il faut quelque chose qui réhabilite, au moins pour la génération de personnes âgées aujourd'hui qui réhabilite l'envoi systématique de documents papier quand il n'y a pas de maîtrise de l'informatique, qui évite des choses qui sont des non-communications de certains documents, parce qu'ils arrivent directement dans une boîte, et que si on consulte pas la boîte, on n'a pas de lettre recommandée ou on a même pas de mail ça peut aller en spam.
On a eu une remontée énorme de toutes les associations de l'ANDEVA pour dire attention on y arrive plus vous avez des personnes qui passent une heure à remplir un questionnaire et puis ça coupe, toutes les données sont perdues, on repart à zéro avec le petit-fils quand il a du temps. Ce sont des situations de non-droit.
François Pialot
Je vais compléter quelques notions. Concernant les délais d’instruction réglementaire et le temps que peut occuper l'enquête dans ces délais. Ces délais ont été augmentés depuis 2019 puisqu'avant c'était 3 mois plus 3 mois, depuis 2019, on est passé à 4 mois puis 4 mois pour le CRRMP. Donc, allongement de 2 mois du délai global d'instruction réglementaire de toutes les demandes de reconnaissance de maladies professionnelles.
Deuxième point, je réponds à quelques points qui ont été abordés : sur le FIVA c'est là tout l'intérêt des associations d'aide des victimes et de toutes les communications qu'on peut faire envers tous les assurés sociaux avec qui on peut discuter, c'est que les demandes, que l'on impute ou pas à une exposition professionnelle, ce sont bien les assurés eux-mêmes qui peuvent faire les demandes directement sur un questionnaire sur le site du FIVA donc ce questionnaire-là est enrichi, la demande arrive au niveau du FIVA. Le FIVA peut se substituer et se substitue réglementairement aux assurés sociaux pour adresser des demandes de reconnaissance de maladie professionnelle aux caisses primaires correspondantes. C'est à ce moment-là, que l'assuré va nécessiter d'avoir un certificat médical qui atteste effectivement, ce qu'a très bien dit Jean-Claude Pairon, uniquement la constatation d'un diagnostic : est-ce que le diagnostic d'abestose, de plaques pleurales... existe ou pas. Donc le médecin se borne à ça. Donc il est tout à fait capable de le faire dans ces conditions-là.
Les questions/réponses
Xavier Faure
On va prendre des questions du public ça sera l'occasion d'alimenter le débat.
Nous avons une question de Hmida : « Comment suivre l'exposition professionnelle, que ce soit sur la base des postes occupés ou sur la base des tâches de travail effectuées, qui est très difficile à suivre ? ».
Jean-Claude Pairon
Le simple poste occupé est souvent insuffisant parce que sous un libellé de poste, les tâches qui sont effectivement réalisées peuvent varier, donc il y a des postes qui sont très explicites, quelqu'un qui est secrétaire par exemple, qui est menuisier, on voit tout de suite de quel travail il s'agit. Il y en a d'autres, « ouvriers qualifiés », ça ne veut pas dire grand-chose. Donc, il faut impérativement compléter, lui dire quelle tâche il faisait. Et tous les combiens pour traduire ça en type de nuisances auxquelles la personne est exposée. C'est le rôle des médecins du travail. On peut espérer qu'avec les visites de mi-carrière et les visites de fin de carrière qui viennent d'être renforcées sur le plan réglementaire on aura ce que j'appelle des calendriers professionnels plus complets, permettant de recenser ces expositions antérieures, qui ont des effets différés. Et d'assurer une meilleure surveillance des gens et si ils tombent malade, faire valoir leurs droits.
Xavier Faure
Oui, il y a un travail d'enquêteur du médecin du travail un savoir-faire aussi ?
Jean-Claude Pairon
C'est clair que ça fait partie intégrante des missions du médecin du travail d'identifier les expositions actuelles d'un travailleur et, surtout, ces expositions passées dès lors qu'on sait qu'elles peuvent entraîner des effets différés. L'amiante en est un des principaux exemples.
Xavier Faure
On va prendre une autre question du public. « Est-ce que la Cramif et la Carsat Sud-Est disposent d'une analyse fine concernant les métiers exercés par les salariés reconnus en maladie professionnelle ou en maladie professionnelle à caractère professionnel ? ».
Chantal Graziani
Ok, donc j'imagine que le sens de la question est de savoir si on est capable d'identifier les métiers qui conduisent à une reconnaissance de maladie professionnelle ?
Xavier Faure
Oui, on peut traduire la question comme cela.
Chantal Graziani
Je vous le disais tout à l'heure sur l'allocation, le dispositif ACAATA nous, lorsque nous avons une reconnaissance de maladie professionnelle, le dossier est relativement simple : on instruit la demande sans se poser de questions. On a une reconnaissance, pour nous ça ne pose aucun problème. Pour les autres salariés ou anciens salariés on a des conditions cumulatives à la fois de période d'exposition et de métiers. Certains métiers ont été rajoutés dans des arrêtés ministériels.
Ces métiers-là sont identifiés et je faisais allusion tout à l'heure aux 4 grandes familles de salariés ou d'anciens salariés qui pouvaient prétendre à entrer dans le dispositif ACAATA. Et vous avez les métiers liés au chantier naval et à la réparation navale, les ouvriers dockers et le personnel manutentionnaire, les salariés et anciens salariés qui sont intervenus dans des établissements de fabrication de traitement de l'amiante. Donc tous ces métiers-là sont très identifiés. Mais les maladies professionnelles, effectivement, une fois qu'elles sont reconnues, nous ne nous posons pas la question de savoir ni d'où elles viennent ni de quel établissement. Nous avons simplement la reconnaissance de maladies inscrites au tableau que l'on vous a exposé tout à l'heure. Ça nous suffit pour enclencher le versement de l'allocation.
Xavier Faure
L'amiante a été interdit il y a 25 ans, on en trouve encore un peu partout on a des personnes qui sont encore exposées à l'amiante. Est-ce qu'on a des reconnaissances de maladies professionnelles assez récentes qui rentrent dans le cadre des tableaux ou hors tableau ?
Chantal Graziani
Aujourd'hui monsieur Clair l'a évoqué en introduction, au début de l'allocation les bénéficiaires étaient majoritairement les malades de l'amiante. Aujourd'hui, les dossiers que nous instruisons quand l'assuré est atteint de maladies professionnelles liées à l'amiante, c'est une toute petite minorité. Ce n'est pas l'essentiel de nos dossiers c'est vraiment une petite partie de nos dossiers.
Hervé Sageot
L'amiante a bien été interdit fin 1996. Pour autant, ça ne signifie pas que tout l'amiante présent a été retiré donc, il y a aujourd'hui encore de très nombreux salariés, des professionnels de l'amiante, mais pas seulement. Des gens qui interviennent tout simplement dans des locaux ou des bâtiments amiantés, qui sont, de par leur travail, toujours exposés et qui produiront les maladies professionnelles de demain.
Xavier Faure
Alain Bobbio, dans les personnes que vous défendez, les victimes de l'amiante, finalement vous voyez une sociologie des personnes qui évolue ?
Alain Bobbio
Oui, on voit émerger beaucoup de victimes qui ne sont pas des professionnels de l'amiante, qui sont des électriciens, des plombiers, des couvreurs. Toutes sortes de métiers qui se retrouvent au contact de l'amiante sans en fabriquer, ni forcément sans agresser fortement le matériau. Mais on trouve des personnes qui ont eu des expositions faibles et qui sont contaminées. Je pense à un professeur, on en a plusieurs dans notre association, qui ont été contaminés. Je pense à Daniel en particulier. Il a fait sa rentrée scolaire, il était écœuré de voir tant de poussière sur les tables, il y avait eu un désamiantage la veille de la rentrée, tout était saturé de poussière. Il a pris un chiffon en disant « ce n'est pas à moi de faire ça mais... » et il s'est retrouvé avec un mésothéliome à 70 ans.
Donc, des expositions faibles, dans certaines circonstances et avec certains paramètres individuels, sans doute, peuvent provoquer des maladies mortelles. On a le cas d'un intérimaire dans des entreprises paternalistes qui traitaient l'amiante, on lui donne un intérim vacances ou un CDD vacances. En un mois, il est contaminé. 30, 40 ans après, il est rattrapé par un cancer. Ça existe et je voudrais profiter de l'occasion pour dire quelques mots sur les contaminations environnementales.
C'est quelque chose qui est fortement sous-estimé et en progression. En 2019, j'ai eu l'occasion d'écouter un exposé du professeur Tares en Espagne, à Barcelone. Ce professeur suivait depuis 30 ans une population d'ouvriers et d'habitants autour de l'usine de Cerdanyola. Ce qu'il constate, c'est que sur les 15 dernières années, il y a une progression relativement modérée. On a presque une stabilité dans cette usine pour les salariés, par contre, le nombre de maladies environnementales dans la même période sur 15 ans a doublé. En Italie, à Casale Monferrato, autour aussi d'une usine d'amiante ciment, vous vous retrouvez avec 392 plaignants, 392 morts de mésothéliome. Les 3/4 des plaignants sont des victimes environnementales.
Après, qu'est-ce qu'on appelle environnemental ? C'est un terme qui prête à confusion il est utilisé pour désigner des contaminations de salariés au voisinage de salariés actifs des contaminations passives. Je pense que c'est une dénomination très confusionniste. Il s'agit de contaminations professionnelles point. L'environnemental touche des épouses qui lavaient les bleus du mari (j'en ai plusieurs exemples), ça touche des enfants contaminés par les cheveux des parents qui rentraient avec leurs vêtements de travail dans la maison, ça touche des gens qui, de bonne foi, ont accepté des cadeaux empoisonnés d'une entreprise d'amiante ciment, qui fourguait ses rebus de production pour paver le jardin.
Xavier Faure
Alain Bobbio, on est peut-être à la limite, mais est-ce qu'il y a des reconnaissances de maladies professionnelles environnementales ? Alain Bobbio. Des personnes qui peuvent être sur des postes à proximité, qui vont être exposées alors qu'ils ne sont pas directement sur le poste ?
Chantal Graziani
Je peux répondre si vous voulez. Effectivement, dans les demandes que nous instruisons, nous avons effectivement des personnes qui ne sont pas directement en contact avec l'amiante, et qui, pour autant peuvent être contaminées sur des postes qu'on imagine hors de danger.
Xavier Faure
Et puis, j'utilise le mot Jean-Claude Pairon, d'inégalité, face à la manière dont on est exposé à l'amiante, comme vous décriviez Alain Bobbio : c'est que il y a des personnes qui sont exposées sur des périodes très courtes et qui vont développer des maladies, et puis d'autres qui vont être exposées de manière plus longue, qui vont peut-être moins développer de maladies. Est-ce que la médecine a des études là-dessus ?
Jean-Claude Pairon
Oui, on a de très nombreuses études sur le sujet, ce qui est sûr, c'est que toutes les affections liées à l'amiante comportent ce qu'on appelle une relation « dose effet ». Elles sont plus fréquentes dans les populations qui sont très exposées que dans les populations moyennement exposées. Il y a certaines affections que l'on observe qu'avec des fortes expositions. Je pense à la fibrose pulmonaire liée à l'amiante, ça ne s'observe qu'en situation de fortes expositions cumulées, longtemps et à un niveau suffisamment élevé. En revanche, il est vrai que l'on observe des cas de mésothéliome chez des gens qui ont eu des expositions modestes. On peut observer des plaques pleurales dans des expositions cumulées modestes, même si ça va être plus fréquent pour les gens très exposés.
Là où je suis d'accord, c'est qu'une personne qui travaille immédiatement à proximité de quelqu'un qui travaille sur l'amiante, oui, il est exposé, oui, il va être reconnu en maladie professionnelle même si son poste de travail, stricto sensu, ne l'amène pas à intervenir sur le produit. L'exposition environnementale c'est la personne qui habite au voisinage immédiat de l'usine mais qui ne travaille pas dedans. C'est de l'exposition environnementale.
Xavier Faure
Mais on ne parle pas là de maladie professionnelle ?
Jean-Claude Pairon
Non, pas dans le dernier exemple.
Xavier Faure
On va prendre une autre question. Une question de Virginie : « Qu'en est-il des désamiateurs exposés avant 1997, pour certains depuis 30 ou 35 ans, est-ce qu'il y a des chiffres sur ces postes de travail ? ».
Là on parle effectivement de cette profession de désamiateur qui aujourd'hui exerce, mais on parle de ceux qui exerçaient avant l'interdiction de l'amiante. Il y avait des désamianteurs déjà avant l'interdiction de l'amiante ?
Alain Bobbio
Il y avait des démolisseurs.
Jean-Claude Pairon
Absolument, les gens qui faisaient de la démolition prenaient zéro précaution, y compris s'il y avait des matériaux comportant de l'amiante oui, ça existait.
Xavier Faure
Alain Bobbio, ça représente une partie importante dans les victimes que vous défendez ?
Alain Bobbio
Ce sont des gens qui ont travaillé dans des nuages de poussière sans masque, donc le résultat, il est attendu.
Je voulais vous donner un cas qui me tient à cœur et qui montre la question des faibles doses. Vous avez en Belgique le président de l'association belge de défense des victimes de l'amiante, Éric Jonckheere qui a perdu par mésotheliome son père, sa mère et deux frères qui n'avaient pas 40 ans. Et lui pensait être à l'abri et, tout récemment, il a appris qu'à son tour il avait un mésothéliome. Dans cette famille où vous avez 5 personnes contaminées par la maladie la plus grave, vous avez une personne qui travaillait dans l'usine : le père. Tous les autres n'ont jamais mis les pieds dans l'usine mais ont grandi sous le vent, à côté de l'usine. Le père rentrait à la maison avec des habits empoussiérés. Donc, je pense qu'il faut méditer ce cas-là. Il affronte sa maladie avec beaucoup de courage, il reste président de l'association. Mais il faut avouer quand même que c'est un destin terrible.
Xavier Faure
Docteur François Pialot, quand vous instruisez les dossiers, on parlait du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, à un moment vous donnez une sanction, un arbitrage sur ces dossiers. Est-ce qu'il y a des recours qui peuvent avoir lieu ?
François Pialot
Ce n'est pas une sanction, c'est un avis notifié par les caisses aux intéressés. Nous sommes en démocratie, donc nous sommes dans un double degré de juridiction. Tout le monde peut faire appel de ce type de décision. S'il s'agit d'une décision d'un comité régional de reconnaissance de maladie professionnelle, le recours va au tribunal judiciaire qui va renommer un autre comité d'une autre région, en général de proximité, pour rendre un avis avec éventuellement d'autres éléments qui auraient pu être apportés dans l'intervalle. Mais j'insiste là sur le gros apport que peut avoir dans tous ces cas de difficultés d'exposition, sur l'apport de l'ingénieur conseil qui, s'il n'a pas été interrogé ou pas suffisamment, ça peut arriver dans quelques cas au niveau de l'instruction en département, va pouvoir nous amener des éléments supplémentaires qui vont enrichir notre avis que l'on prendra au niveau du comité.
Xavier Faure
Une dernière question pour terminer cette table ronde : « Peut-on dire que les maladies professionnelles sont derrière nous ? ». C'est le mot de la conclusion presque !
Jean-Claude Pairo
Je pense malheureusement que les maladies liées à l'amiante ne sont pas derrière nous. Même si c'est interdit en France depuis le 1er janvier 1997, des expositions persistent. Chaque semaine, nous sommes amenés à voir certains ouvriers qui interviennent sur des chantiers sans toutes les précautions qui doivent être prises c'est, notamment dans le domaine du bâtiment. Il y aura des exemples qui seront présentés au cours de cette journée sur certains secteurs. Donc, il faut garder vigilance par rapport à ces situations d'expositions qui perdurent, puisque, si on ne protège pas les gens, dans 20 ans, 30 ou 40 ans on aura encore des maladies.
Deuxième point sur lequel je souhaitais insister, ça a déjà été abordé dans la matinée sur l'importance d'informer les travailleurs sur leurs droits à la fois par rapport à la maladie professionnelle et essayer de battre en brèche les idées reçues « je ne vais pas certifier une exposition », « je ne suis pas sûr ». C'est pas ce que l'on demande au corps médical. Informer les gens de leurs droits. Être extrêmement vigilant pour pallier à cette sous-déclaration. On observe encore aujourd'hui, y compris pour des maladies relativement spécifiques dont on a déjà parlé. Donc, avoir des dossiers les mieux caractérisés possible sur le plan médical : je pense aux dossiers des pathologies bénignes, avec un scanner très convenablement interprété selon les recommandations de la Haute Autorité de Santé, des mésothéliomes avec les bonnes confirmations histologiques. Et puis, ces recherches d'expositions antérieures avec des enquêtes administratives lorsqu'il y a un dossier qui est instruit par la Sécurité sociale, qui couvre la totalité du parcours professionnel parce qu'on va découvrir des expositions. Et puis, pour les gens qui sont encore en activité, effectivement le rôle des équipes de santé au travail (il y a pas que le médecin qui peut faire les enquêtes, les infirmières de santé au travail le font très bien dès lors qu'elles sont formées, ce qui permet de faire ce répertoire des expositions antérieures.
Xavier Faure
Alain Bobbio un petit mot pour conclure ?
Alain Bobbio
Je pense qu'on ne peut pas s'enfermer dans une vision purement nationale du problème de l'amiante. L'amiante est interdit depuis 2005 en Europe mais c'est une minorité de pays à l'échelle de la planète qui a interdit l'amiante. Des mastodontes dont le poids économique est très important, tels que la Chine ou la Russie sont des producteurs ou consommateurs massifs d'amiante.
Xavier Faure
Donc on a encore de l'amiante effectivement partout. On peut les applaudir pour cette table ronde merci à vous toutes et à vous tous.