Deux professionnels du secteur Ehpad interviennent sur trois grandes thématiques : l’accompagnement des personnes aidées en prenant soin de l’autre, l’intégration du matériel de manutention aux soins et la construction d’une démarche de soin associée à la prévention des TMS.

Stéphane Da Silva – Ingénieur conseil, Pilote secteur sanitaire et médico-social (SMS) – Cramif

Suite du programme pour ce matin, nous allons parler de la Prévention des TMS centrés sur le soin.
Respectivement, il y aura Monsieur Jean-Philippe Sabathe qui va commencer son intervention, qui est le responsable du Département Prévention des risques professionnels du Groupe hospitalier Paris Saint-Joseph.
Nous aurons aussi Carole Gayet qui est experte et pilote de la thématique « Aide et soins à la personne » de l’INRS. C’est elle qui représentera l’INRS et aussi à la table ronde.
Donc, n’hésitez pas tout à l’heure aussi à poser toutes vos questions et préparez aussi vos questions de l’intervention, s’il y a des incompréhensions. Il n’y a pas de question taboue, vous pouvez y aller, dites votre avis, votre sentiment, vos difficultés.
Et nous aurons aussi Madame Alyson Ledit, directrice d’Ehpad de la Résidence Sofia à Yerres, qui viendra aussi témoigner, donner aussi son avis, son retour d’expérience, ses sentiments par rapport à ce que… je crois avoir su que vous avez suivi aussi une formation en prévention et nous dire un petit peu comment vous vous êtes approprié au fait de la démarche de prévention et comment vous voyez ça, et les difficultés peut-être que vous aurez.
Donc, je laisse la parole à Jean-Philippe Sabathe.

Jean-Philippe Sabathe – Responsable du Département Prévention des risques professionnels – Groupe hospitalier Paris Saint-Joseph

On va rentrer dans le vif du sujet, en même temps que suite à toutes les démarches qui nous ont été proposées, c’est de rentrer sur quelque chose d’un peu concret. Là, c’est un partage avec vous d’une démarche de prévention et vous verrez que volontairement, on la dénomme déjà sur un peu une double démarche parce qu’on est bien centré sur la prévention des TMS qui est l’objet même de cette journée. Mais en même temps, de se dire aussi peut-être comment rentrer par les TMS cette fois-ci par le soin. Donc, on va centrer toute cette démarche dans sa présentation auprès et autour de tout ce qui va concerner la manutention entre autres des personnes.
Si on le reprend dans les constats, c’est vrai qu’ils ont été partagés déjà plein de fois, les TMS, ça a grandi. Quand j’ai commencé il y a 30 ans, on était à presque 30-35 %, c’est ce qu’on disait, des jours d’arrêt qui étaient liés au TMS ; maintenant, on a dépassé les 50 %.
Les formations qui restent un modèle dominant en termes de réponses à la prévention, c’est déjà centré très souvent sur la formation et d’outils en fin de compte, gestes et postures, avec un postulat de départ, c’est apprendre à comment bien porter. Donc, on se questionnera évidemment sur la pertinence de comment apprendre à porter.

Une exigence de la qualité des soins, mais dans la prise en charge des personnes âgées, on voit que cette exigence est légitime, portée par les résidents eux-mêmes, par les familles.
Une pression médiatique sur les déviances des personnels, ça aussi, on sait que malheureusement, la manutention des personnes peut exposer à des déviances et ça peut en faire l’actualité. Donc, se dire : est-ce qu’on peut aussi répondre à cette question-là.
Une difficulté croissante de recrutement et de fidélisation, concernant le médico-social, on a la même problématique aussi sur du sanitaire. Et on voit qu’en même temps, il va falloir sûrement apporter d’autres réponses en termes en tout cas d’image par rapport à nos métiers de soins. Mais c’est vrai que si on le vend comme étant un métier pénible, c’est sûr qu’évidemment, ça n’encourage pas forcément à venir travailler ou à rester dans notre secteur.
Des compétences professionnelles aussi qui s’altèrent, avec une demande de quête de sens. Et là, on va voir en même temps est-ce que la démarche peut aussi y répondre, de se dire : est-ce que cette tâche qui est vécue comme étant pénible, difficile, en même temps peut être remise dans une dimension de soins qui pourrait redonner aussi du sens à mon métier de soignant.
Des comportements individuels et collectifs qui tendent le travail et les relations dans le travail, on voit qu’évidemment, les soignants acceptent de moins en moins d’être exposés à du risque professionnel et entre autres à du port de charges. Donc, on voit qu’évidemment, cette question individuellement ou collectivement nous est renvoyée et il va falloir aussi apporter des réponses.
Des investissements importants – ça a déjà été aussi souligné – pour une utilisation réduite par les professionnels de tout ce qui sera outil d’aide. Avec la caricature, on la fait à chaque fois, mais de se dire : on vient investir soit un outil d’aide ou une aide technique et en même temps, ce n’est pas utilisé, d’essayer de voir un petit peu plus tard pour quelles raisons.
Et puis, il y a des attentes fortes du réseau prévention, c’est vrai que le dispositif TMS Pros est là pour nous le rappeler et à juste titre, on se doit quand même de protéger l’ensemble de nos personnels vis-à-vis du risque professionnel. Après, je vous ferai grâce de la responsabilité de la part des directions quand il y a souci.

Une démarche de soins et de prévention qui est éprouvée, dans ce sens que cette démarche que l’on va partager ensemble est une démarche qui s’est construite maintenant depuis une vingtaine d’années, et accompagnée aussi par des institutionnels, entre autres, et historiquement la Cramif comme premier partenaire, l’INRS ici présent aussi, mais l’ARS aussi qui a participé, ou l’association OETH pour ceux qui seraient adhérents dans le champ du handicap à OETH. C’est une démarche en même temps qui s’est voulue différente, bien évidemment. Pourquoi ? Parce qu’elle va être centrée principalement sur l’absence d’exposition au port de charges. L’élément clé à retenir, c’est que oui, on peut faire de la manutention de résidents, sans qu’à aucun moment, on n’expose notre personnel à du port de charges. Évidemment, on va voir qu’il y a une démarche à mettre en œuvre, une démarche de soins à mettre en œuvre, mais in fine, ça va aussi nous permettre de répondre tout de suite à une question qui tourne autour du risque professionnel. C’est-à-dire que si vous ne vous exposiez plus au port de charges, vous avez résolu presque, en tout cas pour la partie manutention des personnes, cette problématique de TMS Pros, c’est qu’il n’y a plus d’exposition, donc il n’y a plus de TMS.

Vu vos regards, vous vous dites : « ouh là là, ce n’est pas gagné, il va falloir quand même qu’il nous montre », mais on va le partager ensemble. Mais on est bien dans cette volonté d’objectif en fin de compte de ne plus exposer le personnel à du port de charges.
Une démarche qui va être construite sur quoi ? Ça, c’est l’élément clé qui va être partagé en termes de connaissances, sur la connaissance des déplacements humains ; on va se rendre compte que ces déplacements humains vont contribuer à la réalisation du soin, mais vont aller bien plus que ça pour répondre aussi à d’autres questions. Et dans les apports que ça va permettre, ça va permettre de construire des pratiques professionnelles, individuelles et collectives ; on sait que dans notre secteur, c’est bien de former une personne, mais en même temps, il va falloir former l’ensemble des personnels ; c’est bien collectivement qu’ils peuvent être amenés à modifier leur pratique professionnelle. Individuellement, ils adhèrent tous, et pourtant, quand ils reviennent de formation, si vous n’en avez formé que quelques-uns, on se rend compte qu’une semaine après en fin de compte, tout le monde travaille toujours de la même façon et que les pratiques qui ont peut-être pu être montrées, différentes en tout cas, ne sont pas mises en œuvre. Donc, on a bien cet objectif en même temps du collectif pour que ça fonctionne.
Et puis, en même temps des croyances soignants où on a cette singularité, mais maintenant on le sait, c’est très bien décrit que nos soignants sont peu enclins à la prévention du TMS. Parce que ça veut dire qu’évidemment, si on présente la démarche exclusivement comme une démarche de prévention des TMS, le résultat, on le connaît déjà, c’est que les soignants, c’est rentré et c’est ressorti. Donc, si on veut en même temps les protéger des TMS, parce que c’est quand même l’objectif, donc là tout le monde peut rouvrir ses oreilles, c’est peut-être de rentrer et de le présenter différemment. Donc, évidemment que ça va toujours avoir comme finalité la prévention des TMS et pour autant, on va rentrer par le soin. Et là, ça tombe bien parce que le soignant, le soin, il connaît. En même temps, c’est revenir aux fondamentaux du soin infirmier tout simplement, et à l’origine du soin infirmier, il y avait déjà la mobilisation des personnes.
Donc là, on va remettre dans cette dimension du soin. Et dans cette dimension du soin, on va se rendre compte que ça va avoir un double bénéfice pour les soignants parce qu’on va les protéger, et en même temps pour les personnes accueillies, on va voir aussi en quoi ça peut changer.
Le déplacement spontané comme outil d’aide aussi, aux critères de choix pour un achat – c’est très bien avec le showroom qui est juste à côté – et on va questionner à chaque fois l’aménagement, l’agencement ou le mobilier ou les équipements par la connaissance de ce déplacement. Et en même temps, ça peut être aussi un guide d’aide à la conception, les prestataires nous en parlaient tout à l’heure, oui, on peut aussi requestionner évidemment des espaces par cette approche sur les déplacements spontanés. Et en même temps pour nos soignants, c’est bien aussi puisque ça va apporter quelques connaissances et c’est aussi ce qui est quand même attendu.
Ce qui veut dire que pour arriver à cet objectif, il faut quand même changer un peu la situation actuelle. Pourquoi changer la situation actuelle ? Parce qu’on sait que malheureusement, la manutention comme source de TMS, ce n’est pas une nouveauté ; il y a presque quatre siècles sur les chantiers de BTP, la construction des pyramides d’Égypte, il y avait déjà des TMS, les lumbagos, donc ce n’est pas une nouveauté sous le soleil. Donc, si on continue un peu sur le même schéma et sur les mêmes prépositions en termes de prévention, on peut déjà prédire, entre guillemets, il n’y a pas grand-chose qui va changer en termes de résultats.

Première étape, si on veut un peu changer cette situation de manière factuelle, pour que ça vous parle, on va déjà considérer la manutention des personnes réellement comme un soin, au sens même du soin infirmier, dans cette intervention effectuée par un soignant dans le but de préserver ou d’accroître l’indépendance du résident dans les activités de sa vie courante. Et c’est cet élément clé qui va nous servir à apporter un choix d’assistance aux résidents. On sait que malheureusement, nos soignants sont formés de cette façon-là, c’est soit le résident fait et il va faire son déplacement, soit le résident ne fait pas et très souvent, on va se rendre compte que le soignant prend dans la totalité le résident dans le cadre de son assistance. Et c’est là où on va se dire : non, on ne prend pas la totalité du résident ; ce n’est pas parce qu’il ne va pas pouvoir faire que je dois tout faire pour lui. On verra sur quels éléments un peu plus sensibles après.
En même temps, ça va être intéressant parce qu’il y a aussi cette question tout à l’heure qui a été déjà abordée sur les fameux outils d’aide ou aide technique, on va être plutôt sur la définition d’outil d’aide à la manutention, l’outil qui est pris en main et qui va être utilisé par le soignant, et avec en même temps toujours cette question : en fin de compte, à quoi sert cet outil ? Et très souvent, on va se rendre compte que quand il y a une non-utilisation de l’outil, il peut être vécu comme étant « pourquoi on ne les utilise pas ? », souvent, si on ne les utilise pas, c’est qu’on ne comprend pas à quel moment je dois l’intégrer réellement dans la prise en charge. Là, il y a tout un travail qui va devoir être fait en même temps de présenter évidemment ces outils, savoir les utiliser bien évidemment, mais surtout comprendre à partir de quel moment je dois les intégrer en même temps dans la prise en charge et dans le soin.
Dans cet objectif en même temps qui est de pouvoir évidemment faire la promotion de soins sécuritaires et confortables, ce qui est quand même attendu dans la prise en charge des personnes que l’on accueille, avec cette fameuse question de l’évaluation des capacités. Pareil, ça a déjà été abordé, donc là, on va pouvoir très clairement aller dire réellement ce que correspond et à quoi correspond cette évaluation des capacités, où là on va simplement mesurer l’écart qu’il va y avoir entre les éléments constitutifs du déplacement que le résident peut faire et ceux qu’il ne peut pas faire. On le verra sur des déplacements juste après, mais ce qui veut dire qu’en même temps, c’est un outil d’évaluation des capacités qui se fait à chaque prise en charge : mon résident le matin peut être différent du même résident le soir, je pourrais en théorie presque aller peut-être au fauteuil seul le matin et nécessiter d’avoir un accompagnement en fin de journée, du fait simplement de la fatigue et de la modification de mes capacités.
Là, ça veut dire aussi que c’est offrir aux soignants un outil qui ne va plus être un outil en soi d’évaluation comme on peut l’avoir, et ce qui était encore montré ce matin, de grille ou ainsi de suite ; là, c’est de se dire que l’évaluation se fait pendant le soin, au moment du soin. J’arrive devant un résident, la première évaluation, ça va être de demander au résident s’il est dans le lit, on veut qu’il se rehausse dans le lit : « est-ce que vous pouvez vous rehausser dans le lit ? ». Et on va tout de suite commencer à faire cette évaluation.

Donc, l’évaluation se fait en même temps que la réalisation du soin ; ce n’est pas deux temps séparés. Parce que souvent, les soignants vont nous objecter en nous disant : « vous êtes bien gentils, mais si je commence déjà à faire un temps d’évaluation, après il faut que je réfléchisse, après il faut que je mette en œuvre mon soin… Bon, je vais reprendre la bonne vieille technique d’avant et on va quand même gagner du temps », puisqu’ils ne vont pas en comprendre le sens. Donc, c’est là qu’il faut bien intégrer cette évaluation en même temps que la réalisation du soin. Là, ça veut dire que pour le soignant, la question du temps disparaît. Et là, évidemment, le temps c’est du soin. L’infirmière prend le temps nécessaire à faire sa prise de sang. Après, il y a des résidents où ça va aller vite, d’autres ça va aller beaucoup moins vite, je prends le temps qui est nécessaire.
Donc là, la question du temps disparaît si on remet ce déplacement dans la dimension du soin. Si on ne le remet pas dans la dimension du soin, c’est vite réglé de toute façon, il va y avoir une objection de la part des soignants, ils vont vous dire en premier lieu « je n’ai pas le temps ». Après, il est compliqué de leur dire qu’ils n’ont pas le temps, et ce n’est pas le sujet, entre guillemets.
Ça veut dire qu’on laisse bien faire aussi – et ça, ça va être plutôt intéressant, dans plusieurs outils qui nous ont été montrés –, au contraire de favoriser l’autonomie des résidents, et c’est l’objectif, c’est ce qu’on souhaite, on veut les rendre toujours autonomes dans la réalisation des éléments qui constituent le déplacement qu’ils peuvent encore faire. Ce qui veut dire que dans la catégorisation des résidents par exemple, dans la démarche qui est proposée, il n’y a pas de sens à aller dire des autonomes, des dépendants ou des semi-dépendants. Non, c’est pour un déplacement, je pourrais avoir la nécessité d’avoir une assistance, par exemple faire un transfert du lit au fauteuil peut se faire avec une assistance suite à l’évaluation qui va être faite, et en même temps être complètement autonome pour pouvoir me rehausser dans le lit.
Donc, on va voir qu’en fonction des déplacements, on va pouvoir au contraire favoriser toujours l’autonomie du résident, il peut faire, il va faire ; et pour d’autres, on va devoir l’assister. Si bien que dans la catégorisation des résidents, ce n’est pas aussi simpliste ; on pourrait le penser, mais peut-être qu’on l’a fait il y a encore très peu de temps, à catégoriser. Au contraire, chaque déplacement est pris comme un déplacement singulier à réaliser à un instant T auprès d’un individu D ; et c’est celui-ci qu’on va prendre en charge, qui va s’appeler un soin. Donc, on assiste bien et les soignants n’assistent bien que ces éléments, et en même temps sans exposer évidemment le résident des efforts qu’il ne pourrait pas faire. Et puis, on va voir la même chose cette fois-ci côté soignants.

Côté soignants, toute la démarche est bien de supprimer tous les efforts qui vont être délétères pour la santé, fournis lors de l’assistance, d’où le fait de supprimer complètement le portage. Donc on arrête, il n’y a pas de bonne façon à comment bien porter. Si on veut faire de la prévention des TMS, ça commence déjà par ne pas porter. Tous ceux qui nous disent qu’ils préconisent la bonne façon pour porter, on oublie. On sait qu’en plus sur la manutention des patients, on était gentil tout à l’heure de dire des résidents de 50-60 kg, mais celui qui en fait 120 de toute façon, on va le prendre en charge de la même façon aujourd’hui et l’aide-soignante va quand même tenter toujours d’essayer de le porter si c’est la seule technique qu’on lui a enseignée. Donc, la technique disparaît, on est bien sur une construction de soins. Et en aucun cas, on n’expose des soignants à un port de charges.
Alors, les principes fondamentaux des déplacements humains, en même temps, sont basés sur quoi ? C’est construit en fin de compte simplement sur du développement psychomoteur. C’est assez intéressant parce que dans l’exemple qui vous est montré, on a l’enfant à la naissance, un petit bébé, qui reste sur le dos. Et il va mettre un moment à comprendre que pour se mettre sur le côté, il y a un premier élément constitutif du déplacement qu’il doit apprendre naturellement, qu’il va falloir qu’il le trouve, ça va être de croiser les jambes. À partir du moment où le nouveau-né comprend qu’en croisant les jambes, il va rouler, c’est là où il va passer sur le ventre.

C’est intéressant puisque maintenant, si vous reprenez simplement la mise sur le côté, une latéralisation de résident dans son lit ; un déplacement qui est fait x fois dans la journée, pour un change, pour faire un lit, pour faire… On passe notre temps, entre guillemets, rapidement à mettre les résidents sur le côté. Il y a des soignants dans la salle, sinon vous irez observer les soignants, on peut déjà prédire aujourd’hui que dans l’apprentissage qui est donné en formation initiale ou en formation continue, le premier élément que va faire le soignant, c’est d’aller plier la jambe opposée. Il plie la jambe et va s’en servir comme un appui pour pouvoir tourner le patient. Et là, il constate que quand on fait ça, le patient ne tombe pas. C’est normal, ça appelle une PLS et le but, c’est que le patient ne tourne pas en PLS.
Donc, il y a une confusion déjà entre deux mouvements, la PLS, on ne veut pas que ça tourne et on plie la jambe, alors que nous, au contraire, on veut que notre patient tourne. Alors, si vous voulez commencer déjà simplement à faire tourner votre résident, on va réapprendre que le premier élément constitutif de ce déplacement, c’est de croiser les jambes. En même temps, le nouveau-né nous le rappelle. Tant qu’il n’a pas compris qu’il ne croiserait pas les jambes, il ne tournera pas ; à partir du moment où il a compris qu’en croisant les jambes, il tourne, il va tourner.
Eh bien, c’est ça, c’est cet élément de connaissance qu’on a perdu qui est la connaissance des déplacements spontanés, on va la réapprendre pour l’ensemble de ces déplacements : de se rehausser, de se lever, de s’asseoir.
Et c’est bien là l’automatisme. L’automatisme, il n’est pas dans la création de la technique telle qu’on nous l’enseigne aujourd’hui ou qu’on voudrait penser que la technique de portage qui a été apprise devient un automatisme et que l’on peut appliquer à tous les résidents. On sait qu’en tant que soignant, ça ne marche pas. Si on rend inerte un patient, passif, c’est là où on se dit : tiens, on va essayer de le porter ; évidemment, ça ne fonctionne pas. L’automatisme, c’est le déplacement spontané qui est automatique, mais ce n’est pas la technique qu’on essaie de construire qui va devenir un automatisme.
Et ça, pour les ergonomes, on voit bien que c’est un contresens que l’objet même du travail est différent à chaque fois. Ce qui nous rassure s’appelle du soin. En ergonomie, l’automatisme se crée si l’objet du travail est toujours identique. C’est l’exemple que l’on note à des aides-soignantes, on leur demande comment on met le drap du dessous et on fait le point au carré. S’il y a des aides-soignantes dans la salle, je suis sûr que si on leur demande, la première chose qu’elles vont faire, elles vont déclencher une gestuelle pour nous montrer comment faire le point au carré ; là, on est sur un automatisme. La manutention n’a jamais été un automatisme.
Ce qui veut dire que par contre, avec le temps, si à l’enfance, on acquiert ces déplacements, avec le vieillissement, on commence à les perdre. Et dans les pathologies liées au vieillissement, on va avoir des disparitions de ce fameux schéma moteur. Et c’est là où va pouvoir encourager au contraire le résident par une guidance verbale et de lui rappeler le schéma ; donc faire en sorte que déjà on lui apporte ces éléments. Et ensuite, on va le mettre dans des éléments favorables pour le réaliser.
Si on prend un autre déplacement, le redressement assis-debout, en gros, se lever. On voit que pour se lever, les différentes étapes, c’est, première étape : de pouvoir reculer mes pieds, me basculer en avant ; ensuite : pouvoir me redresser avec un appui au niveau des mains ; et tenir la position debout. Alors, est-ce que notre environnement est favorable à chaque fois pour permettre à un résident qui n’est pas Monsieur et Madame Tout le monde – sinon on ne serait pas dans vos établissements – de pouvoir se lever ? Pourquoi je dis ça ? Parce que c’est-à-dire que vous, vous êtes capables de vous lever a priori de n’importe quelle assise, a priori nous tous. Le résident, lui, par contre, non, il n’est pas capable de se lever de toutes les assises qu’on va lui mettre à disposition.

Alors, il y a une très belle image sur votre droite où on voit notre soignante essayer d’accompagner une résidente à se lever. Là, on peut déjà prédire une chose, c’est sûr que la résidente, elle ne va pas se lever. Si l’image était bien pour nous montrer que son fauteuil ne permet pas de se lever, bah elle ne peut pas se lever. Alors pourquoi vous allez me dire qu’elle ne peut pas se lever ? Là, elle se penche un peu en avant, elle fait bien le point numéro 2, mais ensuite, pour pouvoir se lever, il faut que je trouve un appui avec mes mains, vertical, qui se trouvent pratiquement au niveau de mes genoux. Et là, si vous regardez sur la photo, on va voir que la personne a les bras complètement en arrière, et maintenant on lui dit : « levez-vous », ça ne marche pas. Mais même si vous, vous essayez, vous verrez que ça ne marche pas.
Il y a un des fournisseurs tout à l’heure qui nous a dit : « oui, on doit concevoir le mobilier comme étant un outil d’aide ». Donc là, on voit que la forme des accoudoirs et la longueur des accoudoirs ne permettent pas au résident de se lever ; alors qu’il a besoin de cette assistance ; le mobilier doit lui apporter cette assistance.
Tout notre challenge, ça va être de se dire dans les critères de choix cette fois-ci de nos mobiliers : on a à disposition des résidents, dans tous les espaces, est-ce que ce mobilier est capable de répondre aux déplacements spontanés ? C’est-à-dire que l’évaluation, vous êtes capables de la faire aussi. Tout directeur est capable d’aller faire cette évaluation. J’ai la connaissance du déplacement, je suis capable d’interroger cette fois-ci le mobilier, l’équipement, le lit qu’on va mettre à disposition du résident, simplement cette fois-ci par la réalisation du déplacement et non pas notre propre jugement à l’évaluation, sachant que nous a priori, on va pouvoir à chaque fois se lever évidemment de tous les lits ou de tous les fauteuils.
Donc, le regard par rapport à un outil d’aide, et le fauteuil va devenir dans ce cas-là son aide technique, c’est de permettre en même temps au contraire la réalisation du déplacement.
La dernière petite chose, même si on ne le voit pas sur cette photo, et heureusement, on peut aussi prédire que quand un soignant assiste un résident dans le redressement assis-debout, vous allez vous rendre compte d’une chose, c’est que classiquement, le soignant se met face au résident. S’il se met face au résident, le point numéro 2, vous l’oubliez, surtout si c’est moi le soignant. Si je me mets devant vous, c’est sûr, vous n’allez pas vous bousculer en avant. Mais si je ne me bascule pas en avant, c’est terminé ; un élément aboli et le déplacement ne se fait pas.
Donc, on voit des fois dans nos pratiques soignantes, on va entraver au contraire le déplacement. Mais en même temps, il n’y a pas de critique sur les soignants, en même temps, c’est se renseigner, c’est ce qui est appris et c’est ce qu’on fait depuis des décennies et des décennies. Après, quand on dit qu’il y a une rupture, oui, il va falloir la créer, cette rupture par rapport à un corpus de connaissances qui va être un peu différent.

En synthèse, une leçon de manutention dans sa démarche… vous avez bien compris, ce n’est toujours pas une technique, c’est bien une démarche de construction de soin, c’est bien un soin singulier, personnalisé ; ce qui peut répondre en même temps à nos attentes par rapport à la prise en charge de nos résidents ; on part du déplacement à réaliser pour chaque soin, chaque déplacement est un soin, est un nouveau soin. On associe le déplacement à réaliser aux éléments constitutifs du déplacement, ça, il faut l’acquérir. C’est-à-dire que oui, il y a un temps de formation pour transmettre en même temps cette connaissance.
L’évaluation des capacités du résident devient concrète, ça se fait à chaque soin, pas sur des grilles. C’est aussi beaucoup plus pragmatique, c’est : dans le soin, j’évalue ce qui est réalisable et ce qui est aboli. Le professionnel ne prendra en charge évidemment que les éléments qui sont abolis. Bien sûr, on va évaluer les risques iatrogènes professionnels lors des déplacements, après, c’est bien à nos résidents aussi d’aller faire cette évaluation, certaines capacités, comme par exemple : est-ce que le résident est en capacité de pouvoir soutenir le poids de son corps sur ses jambes ? Ça, ça s’évalue bien dans le lit ou dans le fauteuil avant de le mettre en position debout. Après, on va voir que bon nombre de soignants, mais pareil, c’est une démarche qu’on propose, c’est : on met d’abord le résident debout puis on voit s’il tient debout. En termes de risque, ce n’est quand même pas tip top, on préfèrerait quand même que l’évaluation puisse se faire après. On ne dit pas qu’après, il n’y aurait pas un affaissement du résident, potentiellement une chute, et qu’il va falloir aussi la gérer. Mais dans un premier temps, on va essayer un peu de réduire les risques.

On insiste bien que les éléments abolis, on réalise le déplacement ; et dans le soin, c’est bien la réalisation du déplacement qui va jusqu’à l’installation finale et efficiente. Par exemple, c’est sûr que quand je viens de rehausser un résident dans son lit, on va estimer que la position finale sera peut-être de mettre le lit en position transat, d’où le fait de certaines fonctionnalités du lit qui sont nécessaires pour éviter que de nouveau le résident glisse. Si vous regardez les installations finales, on peut prendre les paris à l’avance, vous verrez que classiquement, seul le relève-buste sera relevé, ce qui fait que si vous revenez 10 minutes après, de nouveau il va falloir faire le rehaussement.
En tant que directeur, sachez qu’il y a deux fonctionnalités classiquement utilisées par les soignants sur les lits, c’est la hauteur variable et le relève-buste. En même temps, c’est un peu dommage qu’il y a 400 ans, ça existait déjà, on se dit que 400 ans après, c’est dommage de réduire encore l’utilisation d’un lit qui a ces deux fonctionnalités et qu’on attend d’autres fonctionnalités dans un lit, entre autres ces positions ; un lit, ça sert à dormir, mais ça sert aussi à se reposer, et potentiellement, ça sert aussi à manger. Donc, le fait d’avoir d’autres fonctionnalités. Mais pareil, les soignants, il n’y a pas de critique à en avoir, si ce n’est pas accompagné et pas montré, c’est sûr que c’est des fonctionnalités du lit qui peuvent être présentes, mais en même temps qui ne seront jamais utilisées pour autant. Donc là, on est bien toujours, pareil, sur du soin et on travaille sur ces positions.
Et pour finir, les facteurs de réussite, ça part dans un premier temps vraiment de votre volonté à vous, ça a déjà été dit même dans TMS Pros. Il y a bien cet engagement et cette volonté de la part de la direction, ce n’est pas vous qui êtes généralement le frein à la mise en place de la démarche. Je veux dire que ce qui freine un peu, c’est plutôt derrière, juste en dessous, c’est plutôt l’encadrement soignant. Pourquoi ? Parce que, pareil, c’est des pratiques qu’ils ne maîtrisent pas forcément, des démarches qu’ils ne maîtrisent pas ; donc ils le voient plutôt comme une contrainte dans un premier temps, parce qu’il va falloir former l’ensemble du personnel. Après, si vous êtes dans une rupture d’aller dire que c’est la pratique qu’on doit faire évoluer, là, il y a bien tous les soignants qui remettent en formation.

Des critères de choix, les équipements et les mobiliers, on a vu comment. Et ça, c’est évidemment important, de mettre à disposition des outils, des immobiliers et des équipements qui vont permettre la réalisation des déplacements, en tout cas qui ne vont pas en faire obstacle. C’est bien une démarche collective pluridisciplinaire, on l’a vu, il y a plein d’expertises déjà qui disent : oui, dans les établissements, on a plein de ressources et de compétences qu’il va falloir mobiliser, tous ; pourtant, il n’y a pas une seule personne qui détient évidemment la bonne parole.
C’est une démarche qui n’expose plus au port de charges, donc on répond en même temps aux attentes de la Cramif et de cette journée : je n’expose plus au port de charges, je vais au moins diminuer les TMS sur cette partie bien précise, même s’il y a plein d’autres TMS évidemment dans nos établissements ailleurs.

Un engagement sur la durée, des démarches par exemple dans notre groupe, on l’a mis en place il y a plus de 20 ans. Est-ce qu’on est satisfait aujourd’hui ? En termes de résultat, oui ; on est passé en gros en moyenne de demi-jour d’arrêt lié à la manutention des personnes à moins de 100 jours par an. Dans le camembert, par exemple, la manutention des personnes a disparu. Ce n’est pas là du tout où on a des jours d’arrêt dans notre camembert, tant mieux. Mais ça veut dire que ça fait 20 ans qu’on est dessus, et pour autant, est-ce que c’est acquis ? Non. Rien que le turnover, de nouveaux arrivants et ainsi de suite, c’est tous les jours, il faut remettre évidemment une couche.
Et l’indicateur de performance que nous, on retient, eh bien, simplement, c’est la pratique professionnelle, c’est de se dire : si j’observe une activité de soins, est-ce que cette activité de soins dans la manutention des personnes se met et se réalise au regard de la démarche du soin de manutention ou pas. Si c’est oui, OK, ça veut dire que les autres indicateurs forcément vont passer au vert, mais l’élément clé, c’est comment on peut montrer qu’on a modifié une pratique professionnelle.
Le petit message de fin, c’est comme de se dire que oui, c’est possible, et que même les résidents ou les patients peuvent être heureux.

Carole Gayet – Experte et pilote de la thématique « Aide et soins à la personne » – INRS

Moi, j’ai eu la chance, il y a quelques années, d’aller suivre une formation à l’Hôpital Saint-Joseph sur le soin de manutention. Et en tant que référente aide à la personne à l’INRS, ça a été la révélation parce que j’avais un peu le sentiment d’être dans une impasse concernant la prévention des TMS. Comme vous avez pu voir, les chiffres dans le secteur ne sont pas hyper encourageants et on ne peut pas dire qu’avec le temps, ça s’arrange beaucoup. Donc, c’est sûr que quand je suis allée à Saint-Joseph, que j’ai découvert le soin de manutention, je me suis dit « youhou ! Ça y est, enfin ! Oui, c’est possible ! Il l’a dit ».

Alors brièvement, l’INRS est un organisme qui a été créé en même temps que la Sécurité sociale, qui vit des cotisations accidents du travail, maladies professionnelles des entreprises, qui sont versées à la Caisse nationale de l’Assurance Maladie, et l’Assurance Maladie en reverse une partie à l’INRS pour que les gens qui travaillent identifient là où il y a des risques et surtout les moyens de les prévenir. Donc, c’est un juste rendu. C’est un organisme paritaire, donc employeur, salariés, on est à peu près 600, Nancy, Paris. Et on a tous les corps du métier parce qu’on est censé identifier tous les risques et répondre autant que faire se peut à des solutions de prévention multisectorielle.
Nous, le soin de manutention à l’INRS, on a souhaité le renommer. Donc, on a appelé ça Démarche ALM : Accompagner la mobilité de la personne aidée en prenant soin de l’autre et de soi. Donc, quand vous croisez démarche ALM – parce qu’à chaque fois, on ne va pas tout le déplier complètement, c’est un peu long –, vous pouvez imaginer que derrière, vous allez retrouver la démarche du soin de manutention. Je dis bien « la démarche », vous n’allez pas retrouver l’intégralité de ce qui est proposé ou mis en place dans le Groupe hospitalier Paris Saint-Joseph, parce qu’il y a des contraintes temporelles qui font qu’on ne peut pas à grande échelle se permettre d’avoir des formations qui seraient nécessaires, mais qui durent un peu moins longtemps qu’à Saint-Joseph.
Donc, on n’a pas pu reprendre toute la démarche du soin de manutention, mais on a au moins essayé de reprendre la démarche qui consiste à avoir un référentiel qui est le déplacement spontané. Et à partir de ce référentiel-là, d’essayer d’apprendre aux soignants, aux aidants, quel est l’écart quand ils sont face à une personne et essayer d’évaluer en fonction des mouvements que la personne peut ou ne peut pas faire les étapes de chacun de ses déplacements, d’identifier où sont les capacités au moment où elle réalise ces déplacements, où sont les capacités, où est-ce qu’elles sont absentes ; et si elles sont absentes, quel type d’accompagnement je vais mettre en place.

Ce que je trouve aussi important de dire, que Jean-Philippe Sabathe n’a pas dit ou pas assez dit à mon goût, c’est que oui, le soin de manutention, la démarche ALM, c’est une démarche qui vise à prévenir les troubles musculo-squelettiques, OK. Mais aussi, et il l’a un peu dit, ça permet aussi d’éviter un certain nombre de chutes, chutes de résidents, donc chutes du personnel qui essaie de retenir le résident et qui tombe avec le résident ; évidemment, c’est embêtant. Pourquoi ? Parce qu’il y a un moyen – peut-être on le verra plus tard – d’interroger les capacités de la personne à tenir le poids de son corps sur ses jambes au moment où je vais réaliser son déplacement. Ce test va me permettre de dire qu’il y a des gens que je ne vais en aucun cas mettre debout au moment où j’envisage de les accompagner dans ce déplacement-là.
Ça ne veut pas dire que la personne qui aura passé le test ne va pas chuter, mais on sait au moins que la personne qui n’aura pas passé le test, je ne vais pas la lever, et au moins, elle, je suis sûre qu’elle ne va pas chuter, je ne vais pas prendre ce risque-là à ce moment-là. Donc, si je ne prends pas le risque pour elle, je ne prends donc pas le risque non plus pour moi, soignant ou aidant, à ce moment-là. Et ça, c’est quand même aussi extrêmement important, puisqu’on l’a vu, c’est le risque numéro 2 dans le secteur de l’aide et du soin à la personne. Donc ça, pour moi, c’est vraiment important aussi.
Et troisième chose qui est aussi extrêmement importante, c’est qu’à partir du moment où on redonne du sens au métier, à l’activité parce qu’en fait, c’est ça le témoignage terrain quand on rencontre les acteurs qui ont mis en place une démarche de soins de manutention, la démarche ALM, ce qu’ils nous disent, c’est que c’est beaucoup plus respectueux de la personne qu’on aide, de la personne qu’on soigne, qu’on prend en soins. Et à partir de là, ça redonne du sens, c’est-à-dire que je vais mieux prendre soin de la personne. Et donc, cette démarche-là fait que je suis plus en cohérence avec mes convictions et mes motivations et pourquoi je fais ce métier-là. Et de fait, mon patient va être plus confortable, moi, je vais être plus confortable physiquement et donc psychologiquement, et donc forcément, je redonne du sens au travail. Et ça, c’est le témoignage qu’on retrouve dans tous les établissements qui ont mis en œuvre la démarche. Donc, ça me permet aussi de prévenir les TMS.
La transposition de l’INRS du soin de manutention en démarche ALM dans ces dispositifs, on les retrouve dans les dispositifs dont la Cramif vous a déjà parlé tout à l’heure, qui est SMS, en fait, c’est le dispositif de formation sectorielle pour le secteur sanitaire et médico-social. Donc, vous allez le retrouver chez l’acteur PRAP 2S, mais pas chez l’animateur SMS donc mon tableau est faux. En revanche, dans le dispositif PRAP 2 S, prévention des risques liés à l’activité physique, secteur sanitaire et social, ce qui effectivement au jour d’aujourd’hui paraît une curiosité puisque finalement on n’a plus normalement d’activité physique quand on fait du soin de manutention ou de la démarche ALM, mais ce n’est pas grave, on va adapter sûrement ça aussi dans la terminologie, donc on va retrouver aussi cette démarche accompagner la mobilité pour le formateur PRAP 2S et l’acteur PRAP 2S.

L’idéal, dans mon établissement, c’est effectivement, on l’a dit, que moi, direction, je sois au fait de cette démarche-là, que je sois volontaire pour la mettre en place, que je sois moteur pour motiver mon encadrement, pour qu’il laisse le temps à ce que cette démarche se mette en place. C’est-à-dire, au quotidien, être dans cette démarche, ça ne prend pas plus de temps ; ce qui va prendre un temps – et c’est là où il va y avoir un investissement à un moment donné –, c’est le changement qui prend du temps, c’est la transition entre ce que je faisais avant et ce que je vais faire aujourd’hui qui va sûrement prendre un petit laps de temps pour que ça se mette en place. Et c’est là où il faut vraiment que l’encadrement soit volontaire dans ce changement-là pour laisser ce temps-là à ce que les soignants, les aidants puissent s’approprier la démarche, puissent avoir le temps de réfléchir un peu, de prendre leurs marques et de la mettre en œuvre.
Donc ces formations, vous allez les retrouver à la Cramif bien évidemment, dans les Carsat pour ceux qui ne sont pas en Île-de-France. Et comme l’INRS ne peut pas former tout le monde, en fait, nous, on a un système de démultiplication, c’est-à-dire qu’on forme des formateurs de formateurs, etc., et au final, il y a les organismes de formation habilités, comme disait tout à l’heure Stoporisk qui a priori d’après ce que j’ai compris propose le dispositif SMS.
Évolution de la formation initiale aussi, je le signale à la fois avec enthousiasme et avec beaucoup de regret. Évolution de la formation initiale à l’Éducation nationale, c’est-à-dire qu’à partir du moment où dans le Bac Pro sanitaire et médico-social, on a le dispositif PRAP 2S et donc la démarche ALM, ça fait qu’aujourd’hui, les élèves qui suivent la formation Bac Pro sanitaire médico-social sortent avec la connaissance de cette nouvelle démarche. En revanche, quand nous sommes allés au ministère de la Santé pour leur expliquer qu’il faudrait revoir le référentiel de formation initiale des infirmiers et des aides-soignants, eh bien, on nous a dit d’aller voir ailleurs s’il y avait de la lumière. C’est quand même bien ennuyeux parce qu’avec nos formations continues, on fait le job, mais c’est sûr que si ça pouvait partir d’en haut, du début en tout cas, ça nous aiderait bien tous sur le terrain.
Vous allez retrouver des repères de ce dont je vous ai parlé, dans votre pochette, avec un dépliant sur la démarche ALM. Vous allez retrouver aussi des illustrations en fonction des capacités de la personne de certains modes d’accompagnement possibles des déplacements de la personne. L’accompagnement peut être verbal ; il peut être physique, mais avec une force extrêmement restreinte, et comme dit Saint-Joseph, celle de deux doigts et pas plus. Donc, on n’est pas dans de l’activité physique délétère, ou s’il y a un ou plusieurs éléments que la personne ne peut pas réaliser, doit engager une force plus que de deux doigts, dans ce cas-là, je vais réfléchir à quelle aide technique, outil d’aide à la manutention – ça va pouvoir être le même outil qui va recouvrir différentes dénominations –, je vais pouvoir intégrer dans mon soin pour qu’il soit confortable pour mon patient, sans que je ne mette ma santé en danger.

Vous allez retrouver aussi un webinaire qui a été fait sur le sujet, un question-réponse. Vous avez une table ronde qui évoque aussi la démarche. Vous allez retrouver tout ça en ligne. Vous avez des articles qui ont été faits dans HST, dans TS qui est le magazine de la maison.
En fait, il y a des retours d’expériences ; Alyson va vous faire un retour d’expérience ; mais en fait, ce que je veux dire, c’est que, oui, ça fonctionne au Groupe hospitalier Paris Saint-Joseph depuis déjà une vingtaine d’années, mais pas que. Déjà parce qu’il y a des référents et des directeurs qui ont été formés à Saint-Joseph, qui ont mis des choses en place dans leurs établissements, qui fonctionnent, qui ne sont pas forcément bien identifiées, mais on sait que ça fonctionne. Et au sein de l’INRS, on a souhaité identifier ces retours d’expérience. Et on a notamment lancé une étude qui va prendre évidemment quelques années puisque ça demande du recul, sur des établissements avant, pendant, après la mise en œuvre de cette démarche, pour pouvoir quantifier les résultats, qualifier les résultats, et voir la plus-value, et que supposément ça incite encore plus d’établissements à aller dans cette démarche.
On peut peut-être citer un groupement que j’ai visité il n’y a pas très longtemps, avec la Carsat des Hauts-de-France, qui a mis en œuvre cette démarche, qui vraiment s’est engagée avec l’encadrement formé, l’encadrement intermédiaire, tous les soignants formés. Et ça marche. Oui, c’est possible, il l’a dit, je confirme. Alyson, à toi.
Merci pour votre attention.

Alyson Ledit – Directrice d’Ehpad – Résidence Sofia

Pour le contexte, je travaille du coup dans une maison de retraite, en Ehpad, à Yerres, de 75 résidents. Et j’y ai toujours travaillé. J’y étais en tant que psychomotricienne, d’où le fait aussi que j’ai été cueillie par cette démarche parce que je croyais être une bonne pratiquante, en fait, comme quoi on peut découvrir des choses. J’ai été formée cette année avec l’Hôpital Saint-Joseph, notamment Jean-Philippe Sabathe que vous avez entendu, et j’en ai entendu parler pour la première fois finalement avec ma référente qui est dans la salle et qui vous expliquera un peu plus tard dans la journée aussi ses actions. Mais je ne comprenais plus trop finalement ce qu’elle me racontait, j’avais l’impression qu’elle venait d’un autre monde. Et je pense que dans la salle, vous avez encore des petits doutes.
Donc maintenant, je vous fais un retour d’expérience qui fait que dans ce contexte, on a rencontré la Cramif dans le cadre de TMS Pros. On a une contrôleuse Cramif, Madame Rémy qui est là, qui nous a accompagnés et qui continue de nous accompagner, même si nous avons clôturé. Mais voilà, ça peut être vu comme quelque chose qui nous saute dessus un petit peu et on se dit : OK, prévention, c’est quoi, qu’est-ce qu’on doit faire et tout. Donc heureusement, on n’est tombés que sur des bonnes personnes qui nous ont accompagnés.
Évidemment, du coup, une bonne référente c’est important aussi en interne, pour justement prendre une bonne analyse, du recul et un bon plan d’action à construire, c’est important. Donc ça, ça sera le premier conseil.

Ensuite, qu’est-ce que ça peut changer en tant que directrice ? Parce que du coup, je suis devenue directrice il n’y a pas si longtemps, au mois de septembre. Et du coup, je n’avais plus que les résidents à penser, j’ai aussi une équipe qui compte sur nous pour leur donner du temps, des bras et des méthodes. Moi, je ne sais pas encore faire ça, je pense que vous non plus.
Donc du coup, c’est une solution, en tout cas pour moi, c’est une philosophie d’accompagnement que je pensais avoir finalement, qui a été complétée par ce que j’ai appris. Et du coup, ça enrichit aussi cette façon de se dire que oui, les équipes peuvent aussi retrouver de la motivation finalement en les plaçant, non pas en bien faisant ni en bien sachant, mais justement en relation ; chose qui nous interroge nous, enfin moi, en tant que psychomotricienne : comment, en demandant l’avis de la personne, en l’incluant dans le soin finalement j’en fais le moins possible ?
Dans ma pratique, je faisais un peu pareil. C’est-à-dire que j’avais l’impression que je pouvais apporter cette aide. Et cette aide était en fait tout, je faisais tout pour la personne. C’est pour ça que je vous dis que je vous donne mon expérience aussi en tant que rééducatrice et pas soignante, mais je l’observe chez mes collègues aussi. Et ce qui est important, c’est qu’au final – ça paraît bête, ce qu’ils vous disent pour l’instant, autant Carole que Jean-Philippe, ça vous paraît incroyable –, ce n’est pas magique, ça demande du temps, ça demande de réinterroger nos pratiques, ça, c’est clair. Mais par contre, ce n’est pas plus compliqué ni plus difficile que de dire : « est-ce que vous pouvez croiser les jambes ? » à la base. Si la personne ne sait pas, on va introduire une aide « écoutez, ce que je vais faire, c’est que je vais vous croiser les jambes » ; OK, ça croise, ça tourne, magique ; si ce n’est pas possible, dans ce cas-là comment on peut faire ?
Et nous, en tant que direction et en tant que référent, c’est notre objectif, c’est d’aller leur dire que si la personne ne peut pas le faire seule, si en l’aidant elle n’y arrive pas seule, stop, c’est que ce n’est pas la bonne méthode. Du coup, on ne parle plus de méthode, mais de philosophie d’accompagnement. Ce qu’on va faire, c’est qu’on va introduire un outil. Introduisons un outil, mais lequel ? « Ah bah je ne sais pas, untel ou unetelle utilise un lève-malade, un verticalisateur ». OK, non, qu’est-ce que la personne ne peut pas faire ? Et c’est à ce moment-là, cet élément-là qui fait qu’on va choisir l’objet, l’outil, ou l’aide adaptée. Et cette construction, elle est pluridisciplinaire et elle réinterroge à chaque fois qu’on rencontre le résident.

Donc, ce n’est pas compliqué à mettre en place. Ce qui prend du temps, c’est que, oui, il faut interroger la personne et que c’est beaucoup plus rapide pour toutes les équipes de croiser les jambes, de faire tourner et ainsi de suite, quitte à se faire mal. Parce que ce qu’on voit aussi en formation… pour les directions, c’est cinq jours de formation, pour les référents, ça en est 13, donc on apprend des choses que vous avez vues en une heure qui moi, me passionnent maintenant, ils nous l’expliquent en beaucoup plus de temps, surtout les intérêts des choix que la direction doit faire sur les objectifs à mettre en place, les plans d’action possibles et ainsi de suite.
Bien sûr, là, ça vous paraît un petit peu flou, mais du coup je vous invite à les rencontrer et à les questionner sur ça. C’est justement d’apporter une réponse au plus juste, et pour les équipes, qui ne perdent pas de temps, qui ne se font pas mal, qui du coup voient une direction qui est à l’écoute aussi. Donc, ce n’est pas seulement effectivement un plan qu’on lance comme ça, une démarche… pas une démarche, une action qu’on met en place : voilà, on a été interpellés, on le fait, les tableaux sont nickel, impeccables, et puis c’est fini ; non, c’est vraiment une démarche au long cours. Et peut-être ce sera dit cet après-midi, mais on cherche aussi des marqueurs forts, des déterminants, ce que vous avez vu aussi tout à l’heure. C’est justement pour que ça puisse continuer, se réajuster et évoluer.
Donc ça, ça se fait aussi en concertation avec les équipes, avec l’évolution des profils de nos résidents et avec les moyens qu’on y met. Donc ça, ça va être plutôt dans mes limites. C’est-à-dire que oui, ça marche ; oui, c’est possible ; il faut pouvoir y mettre du temps. Qui dit temps dit forcément un petit peu de moyens que ce soit attentionnels, que ce soit de volonté, mais aussi financiers. C’est un bon investissement, je pense en tout cas, dans le sens où c’est pour nos équipes et nos résidents. Donc si on fait ça pour nos équipes et les résidents, donc pour l’humain, ce n’est pas un mauvais investissement.

Ensuite, ce que je pourrais dire en tant que limite, c’est que je trouve dommage qu’effectivement, on soit obligés, nous, en tant que professionnels, en travaillant déjà auprès des personnes, de reformer les équipes. Ça prend du temps, ça demande beaucoup d’énergie, ça demande un suivi parce qu’on a du… alors, turnover, chez ce n’est pas trop le cas, mais ça peut. Donc c’est-à-dire qu’à chaque fois qu’il y a de nouveaux salariés, il faut les reformer. Alors c’est un indicateur, mais on l’a choisi comme ça, c’est-à-dire que tant pis, mais c’est quand même énergivore. Donc, il serait vraiment, pour moi en tout cas, une piste intéressante de voir que ces formations justement initiales de soignantes, que ce soit IDE mais même rééducateurs, puissent être formées aux soins de manutention dès le départ ; on ne doit pas porter, on doit accompagner.
Et quand on a compris que le mot « accompagnement à la mobilité » était finalement synonyme d’autonomie, on se rend compte que ce n’est que favorable pour tout le monde. Plus les résidents sont autonomes, moins les équipes travaillent, ou travaillent dur, travaillent fort ; plus les résidents sont autonomes, mieux ils se sentent ; mieux ils se sentent et plus l’ambiance de l’établissement est positive.

Pour tout ça, je suis parfaitement engagée dans leurs soins de manutention ou la démarche ALM, mais c’est vraiment cette mobilité-là, cette mobilité d’interroger toujours ce qu’on fait et pourquoi on le fait, c’est-à-dire qu’il y a deux sens ; si on perd, je pense qu’on quitte notre travail, en tout cas, on n’y reste pas beaucoup.

Et puis, qu’est-ce que je pourrais dire comme limite… si, la limite, c’est la référente. Alors pas la mienne, elle est parfaite. Mais on choisit une personne qui va être du coup référent, en charge d’identifier les TMS, mettre en place des actions de formation correctives, de recherche, de mise en essai du matériel ; parce que le showroom, c’est très bien, vous avez pu tester tout ça, vous rentrez en contact ; ce n’est pas toujours le cas avec des sociétés qui nous proposent des choses miraculeuses, quand ça arrive dans l’établissement, ça reste de côté, on n’a pas le temps de toute façon, ce n’est pas que ça ne sert à rien, ça va plus vite de le faire tout seul. Donc ça, on le rencontre sur le terrain.

Donc moi, franchement, je vous encourage aussi à vous-mêmes à essayer, à comprendre la différence entre ce qui est le prix de l’achat d’une chaise qui va créer finalement des arrêts, qui va créer des troubles chez nos équipes et nos résidents. Et le coût, finalement l’impact que ça peut avoir d’investir dans quelque chose d’adapté dès le départ ; et du coup, le fait que ça n’a pas de mauvais impacts sur les équipes et les résidents. Pour tout ça en tout cas, je vous encourage à suivre les cinq jours, parce que je ne pourrais pas tenir le temps.
Je vous remercie de m’avoir écoutée.

Stéphane Da Silva

J’ai une première question, j’ai une question pour chacun, mais je vais commencer sur la première.
On va commencer par Madame Gayet. On a parlé du temps, est-ce que ce n’est pas déjà une pratique qui se fait déjà dans les établissements, cette démarche de soins, ou du moins est-ce que c’est quelque chose qu’on fait sans s’en rendre compte, ou il faut vraiment aller beaucoup plus loin ?

Carole Gayet

C’est vrai que c’est quelque chose qu’on entend régulièrement des soignants, des paramédicaux : « mais c’est ça qu’on fait ! ». Oui, sauf que c’est là où c’est intéressant d’avoir le regard du déplacement spontané sur vos équipes et d’aller voir concrètement, elles le font déjà, mais elles le font comment. Parce que véritablement partir de chacun des déplacements spontanés et fonctionner par l’observation de chacune des étapes de ce déplacement, voir si la personne est capable de réaliser chacun des mouvements ou pas, ce qu’elle peut, ce qu’elle ne peut pas, non, ça n’est pas du tout quelque chose qui se fait aujourd’hui. Peut-être que ça se fait, mais ça n’est pas la pratique courante, ni des soignants, ni des paramédicaux, non.
Aujourd’hui, c’est très empirique, c’est « vous pouvez le faire », hop, on teste la totale ; « vous pouvez vous redresser dans le lit ? », oui, non, OK… mais c’est global. « Vous pouvez vous mettre debout ? Ah, non, vous êtes tombé. Ah, vous ne pouvez pas, ça, c’est idiot ». Donc oui, on évalue les capacités, tout le monde évalue les capacités, mais pas de la même façon et pas par rapport à la finalité qu’on cherche quand on accompagne quelqu’un dans un déplacement, quand on est aidant ou soignant.

Alyson Ledit

En tant que psychomotricienne, puisque la question est… moi, je pensais le faire. Je pensais le faire, je pensais bien faire comme je vous l’ai dit tout à l’heure ; c’est pour ça que j’insiste. On pense bien faire, on le fait, mais on ne le fait pas de manière minutieuse.
Et le soin de manutention, enfin là, c’est bien particulier parce qu’on parle du soin de manutention, il interroge justement à jusqu’où je dois comprendre ce que j’interroge. Parce qu’effectivement, toutes les équipes le font : « est-ce que vous pouvez vous redresser dans le lit ? », mais qu’est-ce que je regarde quand je demande ça ? Qu’est-ce qui, dans ce mouvement, ne lui permet pas ? Est-ce que c’est le matériel ? Est-ce que c’est sa condition ? Est-ce que c’est ma façon de lui expliquer les choses ? On a des résidents qui ont des troubles cognitifs, croiser les jambes, il n’y a pas de sens parfois. Par contre, si on lui tapote sur la jambe et qu’on lui dit : « cette jambe-là, vous pouvez la passer par-dessus l’autre ? » et on va décomposer le mouvement, on va le faire.
En tant que psychomotricienne, je sais qu’il y en a dans la salle, on le sait parce qu’on a étudié ce développement spontané du jeune enfant. Mais j’interroge du coup, sans forcément avoir de réponse, mais qui le fait encore avec la personne âgée au quotidien à chaque rencontre ? Non. On part sur des études standardisées, on est dirigé par la gériatrie, la géronto prend de la place, mais petit à petit, la gériatrie, c’est l’étude médicale : elle peut, elle ne peut pas, elle peut faire quoi, et du coup qu’est-ce qu’elle ne peut pas faire.
Donc, ça reste sommaire par rapport à ce qu’on pourrait faire.

Carole Gayet

Je voudrais juste ajouter qu’en fait, l’un n’exclut pas l’autre. En fait, c’est complémentaire, c’est-à-dire qu’on a besoin des ergothérapeutes, on a besoin des psychomotriciens, on a besoin des kinésithérapeutes, on a besoin des gériatres, on a besoin de tout ce monde-là évidemment. Si je suis soignant et que je regarde le dossier de soins, il y a des éléments dedans qui vont m’être utiles, il y a des capacités que peut-être je ne vais pas avoir besoin de vérifier parce que de fait, le dossier de soins va me répondre. Mais ça ne va pas répondre à quelles sont les capacités en présence au moment où je fais le déplacement. Et effectivement, comme on le disait tout à l’heure, peut-être que ce matin les capacités, elles sont celles-là, tout à l’heure, elles sont d’autres, puis il y en a plus, il y en a moins. Et donc oui, mais ça ne s’exclut pas.
Et les finalités sont différentes. Ce que cherche un rééducateur n’est bien évidemment pas ce que cherche une aide-soignante au quotidien. Ça ne s’exclut pas, c’est complémentaire.

Stéphane Da Silva

Alors on a vu, cette démarche, elle demande du temps, elle demande aussi des investissements. Et ma question, c’est : quel est le coût ?
Peut-être va nous répondre Jean-Philippe sur ça, quel est le coût, est-ce qu’il y a un retour sur investissement de mettre en place une démarche, de s’équiper en matériels, parce qu’on voit, souvent dans les Ehpad, on dit : « bah oui, ça coûte énormément votre équipement, il faut le rentabiliser. Il va falloir un certain nombre d’années, on n’a pas les moyens. »
Peut-être, nous donner un retour d’expérience sur cette notion de coût ?

Jean-Philippe Sabathe

De coût qu’on va surtout associer à des bénéfices, parce qu’on va plutôt essayer d’évaluer les bénéfices. Et dans les bénéfices, bien sûr qu’on va prendre en compte ce qu’on peut monétariser, ce qui n’est pas toujours simple, mais qui au moins le coût de l’accident du travail, parce que celui-là à peu près, il est connu. Et on va dire que malheureusement après, pour le reste des bénéfices, c’est un peu compliqué d’être sûr qu’il y ait bien une relation de cause à effet immédiate entre la démarche de prévention et les bénéfices attendus, et le tout monétarisé.
Mais quand on a dit ça et qu’on voit les résultats, malheureusement dans les établissements de santé où on peut avoir des nombres de jours d’arrêt très conséquents, il y a la manutention, on a vu les stats que Stéphane Da Silva nous a montrées en début de matinée, on a envie de dire que c’est un avantage pour nous. Comment ça devient un avantage, parce qu’en même temps, si on ne fait rien, il n’y a rien qui va changer ; ça, c’est la base même des économistes ; toutes les études économiques ont été faites en partenariat avec l’INRS, Christian Trontin de l’INRS, et ça, depuis 2003. Donc, ça fait 20 ans qu’on fait de l’évaluation économique sur la démarche de prévention. Donc, l’économiste nous dit tout simplement : « si vous ne faites rien, il n’y a aucune raison que ça change, donc vous aurez toujours les mêmes résultats en moyenne ». Dont acte.
Donc, on a une partie qui met en place la démarche de prévention, puis on va le faire sur un seul déplacement, on va faire une évaluation économique. Historiquement, ce qui nous entraînait plus d’accidents du travail et de jours d’arrêt, c’était les déplacements dans le lit et principalement les rehaussements des patients dans le lit. On était pratiquement à 700 jours d’arrêt en moyenne, liés simplement à ce déplacement-là. On sait bien qu’au préalable évidemment vous faites une analyse de vos accidents du travail et vous avez les données statistiques de l’ensemble de vos accidents du travail.
Et on a mis en place une démarche de prévention sur le soin de manutention, appliquée sur un seul déplacement qui est le rehaussement. On commence simple, on n’est pas obligé de commencer par tous les déplacements. Et là, avec un achat à faire qui était des draps de glisse. On va vite voir dans ce déplacement que ce qui nous pose problème, c’est quand ça frotte, dans les frottements, le résident ne peut pas se rehausser, il ne peut pas avoir ses quatre points d’appui, et donc ça frotte. Si ça frotte, l’outil à intégrer, va s’appeler une surface glissante. Ça frotte, ça doit glisser ; pour les soignants, c’est assez simple à comprendre.
Pour nous, ça veut dire aussi une chose, c’est là qu’il va falloir acheter des tapis. À l’époque, il y a maintenant 14 ans-15 ans, quand on a commencé à acheter les tapis, l’Hôpital Saint-Joseph n’était pas en bonne santé – ou il l’a rarement été en même temps, mais voilà, quelques millions d’euros de déficit, comme tout le monde –, et là, il fallait passer une commande d’environ 20 000 € pour acheter des tapis. Pas gagné a priori quand je suis allé voir le directeur, c’est bien gentil, mais 20 000 € de tapis, on en a acheté quand même 250 d’un coup, parce qu’on dit : ils ont les moyens, on doit les mettre. Il n’y a pas de magie, si les moyens, on ne les a pas, on oublie aussi. Il n’y avait pas d’aide, il n’y avait pas tout ça.

Puis, on a pris un parti pris de se dire : OK, on va faire une évaluation de coûts, puis on va bien voir ce que ça donne sur une approche coût-bénéfice. L’étude montrait qu’en théorie, on devait avoir un retour sur investissement très rapidement, à savoir en moins d’un an, sur la partie coût, formation et matériel. Ça a été le déclic, le directeur a dit « OK, banco, on y va ». On a acheté, puis maintenant c’est de se dire : ça donne quoi ?
Maintenant, on en est à la douzième année. On suit l’évaluation économique du bénéfice cette fois-ci de cette démarche liée simplement à la réduction des accidents du travail liés au rehaussement. Et ça nous donne quoi 12 ans après ? Ça nous donne un bénéfice net actualisé avec le taux de l’inflation qui est élevé en ce moment, mais c’est bien, ça majore votre bénéfice dans l’étude, donc c’est plutôt bien ; l’inflation peut nous aider, ça atténue le coût.
Mais en même temps, ça nous donne pratiquement 1,9 million de bénéfice sur 12 ans, lié simplement à un déplacement qui était le rehaussement des patients dans le lit, simplement par la réduction du nombre des accidents de travail… pas le nombre des accidents, mais le nombre de jours d’arrêt lié à ce déplacement. Certaines années sur les 13 ans, on est même arrivé à zéro jour d’arrêt.
Donc, ça veut dire que oui, le retour sur investissement s’est fait très rapidement, en moins de quatre mois, et en même temps, le bénéfice actualisé maintenant devrait dès la fin de cette année en théorie dépasser les 2 millions d’euros.

C’est toujours intéressant à suivre, parce que je rencontre le conseil d’administration tous les ans, et que c’est beaucoup plus simple évidemment vis-à-vis du conseil d’administration de déclencher de l’investissement lié à la prévention, quand on est capable de pouvoir montrer que sur un déplacement, une démarche de prévention, on a un retour sur investissement qui se chiffre dans des volumes qui commencent à parler, qui deviennent intéressants pour un conseil d’administration surtout à l’échelle en tout cas de notre hôpital. C’est-à-dire que oui, le bénéfice, il est présent.
Alors, je sais qu’on est dans le sanitaire, et on est un hôpital, un établissement rattaché au régime général, puisqu’on est de droit privé, donc on est soumis à une cotisation AT/MP. Et on a une cotisation accidents du travail qui est à peu près à la même période et passé de 1,6 à 0,85. Donc 0.85, quand votre masse salariale se chiffre presque en centaine de millions d’euros, c’est sûr que l’impact là aussi est très concret pour le directeur financier.
Alors évidemment que la diminution du taux de cotisation n’est pas liée qu’à la manutention, mais principalement, parce qu’on sait qu’évidemment celui qui va nous être impacté en termes d’accidents du travail qui vont impacter nos taux de cotisation, ça va être la manutention. Même si vous me demandez, c’est vrai que par contre la première cause d’accident du travail en termes de jours d’arrêt pour notre établissement, c’est devenu les accidents de trajet. On est à plus de 55 % de jours d’arrêt qui sont liés aux accidents de trajet. Néanmoins, les accidents de trajet ne s’imputent pas au coût d’employeur ; donc n’ont pas d’impact sur le taux de cotisation, en tout cas pour notre type d’établissement.
Évidemment pour le médico-social, c’est un peu différent sur la règle, là, vous êtes plutôt sur du taux collectif à chaque fois. Mais sachez qu’en même temps, oui, c’est un véritable impact qui est positif. Et c’est là où c’est intéressant, c’est quand il y a une certaine maturité dans l’établissement, on va être capable aussi d’aller financer des démarches de prévention qui a priori, elles, par contre, n’auront pas un retour sur investissement direct. Par exemple, sur un autre type d’accidents qui sont les accidents par exposition au sang, on finance l’achat de lunettes de vue sécurisées à la vue, donc faites chez un opticien classique, pour l’ensemble du personnel du bloc opératoire porteur de lunettes. C’est plusieurs centaines de personnes. Là, par contre, si vous me demandez s’il y a un retour sur investissement, zéro. Un accident par exposition au sang, ça nous coûte 167 €, il n’y a pas d’arrêt, il n’y a pas tout ça ; heureusement, on évite les contaminations. Et pour autant, on va être capable de financer une démarche qui va nous coûter plusieurs dizaines de milliers d’euros.

Vous allez me dire : c’est quoi l’intérêt de financer des trucs où en même temps on ne faisait plus de retour sur investissement ? C’est de se dire aussi, pareil, c’est le pari qu’on prend dans le bloc opératoire, que si on agit en démarche de prévention sur cet acte-là, on sait le faire, sur ce risque spécifique, on peut prédire – ce qui est vrai – que l’ensemble des risques professionnels présents au bloc opératoire va aussi diminuer.
Ça veut dire que la prévention, pour ceux qui en doutaient encore, oui, entre guillemets, c’est rentable, même si ce n’est pas l’objet même par définition. Mais ça veut dire qu’on peut financer des démarches de prévention, on peut avoir du retour sur investissement, c’était la question. Donc cette partie-là, on va dire que pour n’importe quel établissement ou grand groupe, oui, au contraire, ça devrait être un levier en tout cas et surtout pas vu comme étant un frein, les bénéfices sont bien plus importants évidemment que les coûts.

Stéphane Da Silva

J’ai encore une question. Quand on fait des visites dans les établissements, on pose souvent la question, moi, je pose la question : quelle est votre méthode d’évaluation de l’autonomie du résident ? J’ai eu des réponses tellement variées, certains me disent : « on essaie de la lever, puis on voit si elle peut se lever ».
Alors, je ne sais pas si c’est l’INRS, ou Monsieur Sabathe ou Madame Ledit, si vous pourriez me répondre, mais comment vous faites ? Est-ce qu’il y a une méthode type d’évaluation d’un résident ?

Jean-Philippe Sabathe

On l’a présenté. C’est vrai que l’évaluation des capacités se fait simplement lors de l’évaluation du déplacement spontané : qu’est-ce qu’est capable de faire le résident en termes des éléments constitutifs de ce déplacement ?
C’est là où se fait cette évaluation des capacités et c’est là où elle est en même temps intéressante puisqu’on va voir par exemple qu’il y a une grande confusion, on va dire, entre deux types d’outils. Je sais qu’en Ehpad des fois, c’est un peu compliqué, un dispositif de type lève-malade ou rail au plafond, versus verticalisateur ou guidon de transfert. Alors évidemment, souvent quand on représente comme ça, ils sont présents par l’outil, on va dire que très souvent, le rail au plafond ne remporte pas a priori votre adhésion d’emblée ; pas bien perçu, ce n’est pas esthétique, c’est quoi ce truc de levage dans la chambre et ainsi de suite.
Et pour autant, si on prend dans l’évaluation des capacités, cette fois-ci au contraire, ça doit être un élément qui doit être présent et qui va être même présenté aux familles comme un gage de qualité dans nos structures, de sécurité dans la prise en charge des personnes qu’on va accueillir. Pour quelle raison ? C’est qu’à l’évaluation du résident, quand on va le faire dans le lit, le fameux petit test dont parlait Carole Gayet, on va évaluer dans le lit si le résident est capable de soutenir le poids de son corps sur ses jambes, dans le lit.
Et c’est là où vous allez voir que tout va se compliquer dans cette évaluation. Le test, c’est de lever la jambe, la maintenir droite six secondes. A priori, tout le monde peut le faire, jambe droite, jambe gauche. Votre résident ne peut pas le faire. Mais dans l’évaluation, vous faites de ce résident, c’est peut-être un résident qui bouge tout son corps, il bouge ses bras, il bouge ses mains, il bouge ses jambes, il peut peut-être même se rehausser tout seul, il peut peut-être même se mettre sur le côté tout seul. Et pour autant, cet élément-là qu’on a évalué va nous dire qu’à la fin du déplacement, du redressement assis-debout, le dernier élément constitutif de ce déplacement, c’est maintenir la position debout ; cet élément-là constitutif du déplacement, il n’y en a qu’un seul, on évalue avant. Et cet élément-là, quand on a fait l’évaluation, va nous aiguiller cette fois-ci sur l’outil à intégrer. Si mon résident montre qu’il ne tient pas debout, évidemment on met de côté tous les outils de type verticalisateur, guidon, ainsi de suite.
Et là, un soignant, aujourd’hui, dans notre structure, en Ehpad – à l’hôpital, on doit avoir la même chose – aller dire que ce résident… on doit, on a devoir d’intégrer un lève-malade, rails ou au sol, vous allez voir tout de suite la réaction aussi bien des familles que des soignants qui vont vous dire « mais certainement pas. Il bouge, il n’est pas grabataire, il n’est pas obèse ». C’est souvent la catégorie des résidents pour dire : on doit utiliser un lève-personne.
Là, si on est dans la notion de l’évaluation des capacités, et de se dire comment on doit intégrer au contraire cet outil, eh bien oui, dans le gage de la sécurité du résident, bien évidemment qu’on va devoir intégrer cet outil et on va l’expliquer, on l’explique au résident, on l’explique aux familles. Mais là, ça veut dire aussi que le soin, on va le repenser différemment. Le résident, quand il va être dans son lit et qu’on doit l’installer au fauteuil avec un rail au plafond, il est bien ; s’il est bien, on va commencer déjà par le mettre dans quelle position dans le lit ? Dans un transat. C’est lui qui va se basculer en avant et vous allez glisser le harnais sous le résident. Il peut peut-être même relever sa cuisse pour passer la sangle sous la cuisse. C’est-à-dire que c’est bien lui qui va contribuer en fin de compte à la mise en œuvre et au positionnement du harnais. Le soignant, il a fait quoi ? Deux doigts, rien, il a juste positionné le harnais.

Ensuite, pendant tout le déplacement, l’accroche et le déplacement, on va se rendre compte qu’on va partir en position assise dans le lit, il va arriver en position assise dans le fauteuil, le retrait va se faire de la même façon, il va se basculer pour enlever le harnais, il va peut-être même soulever la cuisse pour enlever la sangle ; ce n’est pas pour autant qu’on l’a rendu passif. Tout le déplacement avec le rail au plafond, ou lève-personne sur rail au plafond, va se faire de façon dynamique, c’est le résident qui va tout faire ; le soignant va faire quoi ? Il va simplement sécuriser le déplacement. Et comment on le sécurise ? C’est de dire : non, on ne va pas vous mettre debout, sachant que vous ne pouvez pas vous tenir debout, et que la sécurité, elle va être apportée par deux soignants qui vont être à droite et à gauche. Là, c’est une fausse sécurité. Et souvent, ça va être une demande de la part du résident qui va préférer être dans les bras du soignant, voire même des familles.
C’est là où si en même temps on maîtrise la démarche, on va au contraire montrer aux familles le professionnalisme et la sécurité qu’on va apporter à leur résident, et que l’outil qu’ils voient comme un palan à la boucherie dans la chambre, au contraire, est un équipement indispensable pour la sécurité de votre résident, donc de votre proche.
Et là, tout de suite, la démarche est différente. Et là, vous verrez qu’il n’y a pas une famille qui va vous dire : mais dans ce cas-là, je ne veux pas que vous l’utilisiez, et je préfère que le résident soit mis debout et qu’il tombe et que mon proche tombe ; bien sûr que non. Donc l’évaluation, elle se fait à ce moment-là, elle se fait en permanence, elle permet de construire des pratiques un peu différentes, mais pour les établissements qui la mettent en place, vous allez vous rendre compte qu’en même temps très vite il y a adhésion aussi bien de la part des résidents que, évidemment, le résident, si on arrive avec son rail au plafond, son lève-personne, qu’on ne lui demande rien, qu’on le remet à plat un coup à droite, un coup à gauche, je mets le harnais, je ne lui dis rien, j’accroche, je lève, je déplace, je dépose, c’est sûr que le résident n’est pas super enclin à vous accompagner dans le soin.
Si toute la démarche et la construction se font différemment, on verra que le résident est réactif. Il comprend, pendant tout le déplacement il est là, mais cognitivement… la fonction cognitive, ce n’est pas un souci, mais il va participer, on va échanger. Et puis, il ne va plus voir un soignant qui arrive en disant : « ah là là, ça risque de tomber, je vais devoir le récupérer, je vais devoir le porter ».
Donc, pour répondre, oui, l’évaluation des capacités, ça se fait bien au moment du déplacement, au moment du soin, à chaque déplacement, à chaque soin. Mais si vous le remettez dans le soin, ce n’est pas perçu comme une contrainte par les soignants, au contraire, on dira : le soin se déroule de cette façon-là, eh bien, je le construis de cette façon-là avec les outils qu’on m’a mis à ma disposition.

Carole Gayet

Je voudrais ajouter aussi une chose qui est la distinction entre utiliser un équipement et introduire un équipement dans le soin. C’est-à-dire que pour moi, c’est un peu la différence entre un concessionnaire auto qui va me présenter un véhicule, qui va me dire : « voilà, il y a des accessoires, ça roule comme ça, le volant comme ci, les pédales ici », tout ça, oui, on a besoin de le savoir évidemment. Mais, le soin de manutention ou la démarche ALM, c’est introduire si besoin après évaluation des capacités et considéré qu’il y ait besoin d’un outil d’aide à la mobilisation, de savoir quel outil je vais choisir et comment je vais l’introduire dans mon soin, comment il va faire partie constitutive du soin que je suis en train de construire.
Et ça, ça me semble aussi quelque chose d’extrêmement important, il ne faut pas confondre utilisation des équipements, ce qu’un fabriquant se doit de faire, un fournisseur a l’obligation de faire, et moi, dans ma démarche de soins, de prendre soin, comment est-ce que je vais intégrer cet outil. Et ça, c’est aussi quelque chose de fondamental sur lequel je souhaite attirer votre attention.

Alyson Ledit

Dernière petite nuance, ce serait que du coup, vous comprenez, je pense à tout le monde, que cette évaluation, elle se fait à chaque rencontre et elle peut fluctuer dans la journée. Donc, ce n’est pas parce qu’on a ce fameux rail au plafond que le matin on l’utilise, si ça se trouve il n’y a pas besoin, mais le soir on en aura besoin. Là, à l’heure actuelle, en tout cas avant qu’on mette en place cette démarche, ce qu’on fait, c’est qu’on fait une évaluation du résident, il arrive, il a un GIR, une belle grille avec comment il communique… pas comment il se déplace, les équipes découvriront. Les équipes découvrent, elles discutent, mais elles ont des capacités physiques différentes. Alors, il y en a une qui utilise l’outil « oui, parce que moi, je ne veux pas prendre de risque », et puis il y a l’autre qui va l’utiliser parce que de toute façon, il est grabataire et obèse, donc de toute façon, c’est ce qu’il faut faire.
Mais jamais en tout cas jusqu’à ce qu’on puisse enclencher cette démarche, même si on y réfléchissait à des choses pour les équipes – j’étais déjà la collègue de ma référente – en formation, on réfléchissait à comment bien faire, comment bien utiliser. Et en fait, on avait oublié de comment bien évaluer. Donc la grosse différence, c’est cette évaluation qui permet d’être en relation et qui permet de faire les bons choix. Ce n’est pas compliqué, mais ça demande une autre façon d’agir.

Carole Gayet

Et comme je le disais un peu tout à l’heure déjà, c’est quand on retrouve de l’aisance pour tout le monde, on retrouve du sens, et l’outil, on l’oublie. Alors on n’a pas pu projeter le film, mais si vous avez l’occasion, regardez-les, mais celui que je voulais projeter est vraiment significatif. En fait, on finit par oublier l’outil, c’est-à-dire que je ne fais pas juste qu’utiliser un outil, mais qui fait partie de mon soin, c’est tout le relationnel qui est remis au cœur du soin et on finit par oublier cet outil complètement.

De la salle

La question est simple, je suis directrice d’Ehpad, on est en suivi TMS Pros depuis quelque temps. On a déjà mis en place beaucoup de choses et c’est très intéressant ce que vous racontez. Ma question est : comment faire et combien de temps il faut pour que l’équipe adhère à votre technique ? À votre philosophie, appelons ça comme ça.

Jean-Philippe Sabathe

Une démarche de soins, on va l’appeler aussi basiquement que ça. En fin de compte, combien de temps ils vont mettre ? Tout va dépendre de la taille de votre établissement et du nombre de soignants à former. Commençons par l’encadrement direction dans un premier temps pour la comprendre, cette démarche, et pour l’accompagner. Mais ensuite, dans le programme de formation tel qu’on le propose, mais après libre à vous bien évidemment, pour l’ensemble de nos soignants, c’est deux journées de formation, c’est deux journées de sept heures qui peuvent être dissociées longtemps.

La première journée de formation concerne tous les déplacements à l’horizontale, donc c’est tout ce qui tourne autour du lit, le redressement, le roulement latéral, les transferts coucher-coucher – en Ehpad, pas forcément ce que vous faites le plus – en tout cas, on reste à l’horizontale.
Et la deuxième journée de formation, on passe cette fois-ci sur le vertical. C’est là où on a cette notion de l’évaluation, avec cet élément clé à un moment donné, c’est-à-dire est-ce que je tiens ou pas sur mes jambes, ce qui va permettre par exemple de faire le distinguo entre le fameux lève-personne ou le verticalisateur, qui est souvent l’outil qui est le plus détourné aujourd’hui. Parce que pour être déjà dans un verticalisateur, ça veut dire que je suis capable de me tenir debout et de me lever. Très souvent, ce n’est pas du tout en termes de capacité ce qui va être repris.

Pour répondre clairement à votre question, c’est deux journées de formation faites par la ressource interne de l’établissement, en termes de formation, ça s’adapte à vos résidents et puis vos équipements aussi, à votre mobilier, à votre environnement. Donc, ça dépend de la taille des structures, mais on a accompagné des établissements d’une quarantaine ou une cinquantaine de salariés par exemple, c’est l’action de formation qui est planifiée bien évidemment, mais c’est réalisé en moins de deux mois. Donc, en moins de deux mois, tous les soignants de l’Ehpad ont été formés.
Ce qui fait qu’en même temps où là on vous rejoint, c’est que dans l’adhésion, la compréhension, il va bien falloir que ce soit collectif et c’est bien le collectif qui va discuter. Donc, c’est surtout il ne faut pas faire du saupoudrage, c’est bien l’ensemble de vos ressources qui doivent être formées, ça va se discuter collectivement, pour ensuite transformer ma pratique et de me dire en tant que soignant j’accepte collectivement que l’on transforme la pratique. Et ça, il faut leur laisser le temps aux soignants, c’est leur discussion avec eux-mêmes. Mais ça peut se faire sur des petites structures. Pourquoi je dis « petites », à notre échelle, on est à 4 500 salariés, donc c’est pour ça que je me permets de dire « petites structures » ; au contraire, ça peut être un avantage. Bien planifié, honnêtement, ça peut aller assez vite en termes de timing d’accompagnement, et la Cramif peut vous aider aussi, même sur le financement, en fonction de la taille de votre structure, mais on peut assez vite pour une mise en œuvre, et même tant mieux, presque. J’ai suivi ma formation, je sais que le mois d’après, ça y est, ça peut être efficient, effectif dans l’établissement, et ça devient notre pratique qui est partagée, accompagnée.

Stéphane Da Silva

Est-ce qu’il y a des questions ?
Alors, voilà la petite vidéo, on va essayer de la présenter.

Projection vidéo.

Comment faire des transferts de manière simple et confortable pour le patient et pour le soignant ? Comment réaliser ces transferts sans portage, afin de préserver la santé du soignant, tout en favorisant l’autonomie du patient ?

Voici un exemple :

Bah vous serez prêt pour 10 h. On aura rempli le contrat, votre fille va être contente.

Elle vient à quelle heure ?

10 h, là il est moins le quart. J’installe votre fauteuil.

Ouais, vous feriez mieux de me laisser chez moi.

Mais oui, bien sûr.

Vous avez bien autre chose à faire, non ?

Que de m’occuper de vous ? Bah non, je suis là pour ça.

Ouais. Je n’ai pas envie de sortir aujourd’hui.

Bah de toute façon, je ne vous écouterai pas.

Hein ?

Je ne vous écouterai pas.

Ah bon ?

Votre main droite sur la barrière, s’il vous plaît, Monsieur Dulac ?

Je vais essayer, mais je ne pense pas pouvoir tenir longtemps, je ne suis plus bon à rien.

Vous en dites des bêtises, qu’est-ce qui vous arrive aujourd’hui ? Vous êtes bougon. J’espère que vous serez de meilleure humeur avec votre fille.

Pas sûr.

Comment ça pas sûr ? La pauvre (Rire.) Allez-y, vous pouvez vous radosser.

Ah, enfin.

Très bien. Ça va ?

Ouais, ça va.

Vous pouvez mettre la main sur le ventre que je puisse passer ? Voilà. Si vous pouvez lever un petit peu la cuisse. Très bien.
On fait pareil de ce côté-là, vous pouvez lever un peu la cuisse ? Voilà.

Quel temps fait-il là ?

Il pleuvait un peu ce matin.

Ah oui ?

Mais ils ont prévu que ça se lève.

Ah bon ? Parce que s’il pleut, je ne veux pas sortir.

Non, ne me trouvez pas d’excuse pour ne pas partir. Je me doutais que vous alliez me dire ça. Mais ce n’est pas ce qui est prévu.

Moi, la pluie, ce n’est pas terrible. Non, s’il pleut, alors là, ça ne va pas aller.

Prêt pour l’hélico ?

L’hélico ?

Ouais.

L’hélico sans aile, oui (Rire.)

Sans aile, mais hélico quand même.

Ah bon ?

Ouais. Vous n’avez jamais fait d’hélico ?

Non non, jamais, non.

Eh bah, je vous ai donné envie d’en faire. Prochain cadeau d’anniversaire.

Ça me plairait bien, oui.

Eh bien voilà, je vais le suggérer à votre fille.

Ça, c’est une bonne idée. C’est la ceinture de sécurité, ça, non ?

C’est quasi ça. On est d’accord. Allez, on décolle un petit peu. Ça va ?

Ça va, ça va.

Allez, on descend un peu le lit. Détendez vos jambes. Voilà, très bien. Plus vous êtes détendu, mieux ce sera. Voilà, je vous remonte un tout petit peu. On y va ?

Oui.

Allez !

Ah, très bien. Ah non, pas de turbulences.

On atterrit ?

Parce qu’avec vos collègues, des fois, ce n’est pas évident.

Ça, ça s’appelle le talent.

Ah, le talent. Ah bah j’ai de la chance alors.

Ouais, c’est ça (Rire.)

Là, mes pieds sont bien.

Vous pouvez lâcher les mains. Tendez la jambe gauche, s’il vous plaît. Voilà. Pareil pour la droite. Et voilà. Allez, j’enlève tout ce matériel-là.
C’est impeccable, tout ça. On est à l’heure…

C’est plus facile que dans le lit.

Vous êtes tout beau… Ouais, c’est beaucoup plus facile que dans le lit et comme ça vous pouvez aller prendre l’air, sinon vous resteriez dans votre chambre.

Je suis fatigué un peu là.

Mais vous allez vous reposer un peu avant qu’elle arrive et après, vous serez prêt. Si vous pouvez lever un petit peu cette cuisse. Voilà. Je la coince un petit peu là. Voilà. On prend le temps, prenez le temps. Pareil de l’autre côté ; très, très bien. Allez-y. Hop, voilà, on n’est pas bien là ?

Ah oui. Ah, vous avez raison, oui.

Ah bah oui. Ah, j’aime bien quand vous dites que j’ai raison, ça me plaît bien.

Elle vient à quelle heure, ma fille ?

10 h, dans un quart d’heure, elle est là. Donc, on est prêts, nickel, tout beau, tout propre.

Je n’aime pas attendre.

Stéphane Da Silva

Voilà la petite vidéo qui prend cinq minutes, temps réel, que faire en transfert.

Jean-Philippe Sabathe

Alors peut-être que vous n’allez peut-être pas oser poser des questions, même un petit peu perplexe : mais en même temps, ce patient-là à son domicile, si je le regarde, il fait tout, pourquoi j’ai été m’embêter à aller mettre un portique, un rail au plafond, alors qu’en même temps, en gros, c’est lui qui fait tout. Un peu bougon, mais il fait quand même tout.
Alors, l’élément évidemment, vous ne l’avez pas, d’évaluation, donc ne le cherchez pas. Vous aurez la réponse si vous revisionnez le film sur la première vignette, et ça vous est simplement marqué. Pour certains, vous l’avez peut-être lu, qu’il a une incapacité totale de pouvoir tenir debout.
Là aussi, c’est intéressant, on parle de capacité, on ne parle pas de maladie. On ne sait pas ce qu’il a ce patient. Mais pour un soignant, ce n’est pas grave, on ne lui demande pas d’être un médecin. Un soignant, on lui demande simplement de faire l’évaluation des capacités. Ce patient ne supporte pas le poids de son corps sur ses jambes, il ne tient pas debout. L’origine, la cause médicale, chirurgicale, on n’en sait rien ; mais ce n’est pas ça le plus important, c’est d’avoir simplement cette information et de se dire que comme il ne tient pas debout et qu’on doit l’installer dans son fauteuil roulant, et qu’on ne doit pas le porter, eh bien, dans ce cas là, le déplacement se fait avec un rail au plafond. C’est bien l’outil qu’on doit intégrer. Et pour autant, ce patient, on a l’impression qu’il fait tout, il est complètement presque autonome. Il a un point de détail, c’est qu’il ne soutient pas le poids de son corps sur ses jambes.
Donc le transfert lit-fauteuil ne se fera pas en le passant par la verticale, en position debout. Mais vous voyez bien que dans la réalisation du soin, cette fois-ci, eh bien, il va contribuer, même un peu bougon, mais c’est lui qui va le faire. Limite, la mise du harnais, elle s’est faite, c’est le patient qui a fait l’effort de. Il ne soutient pas le poids de son corps sur ses jambes, mais ça ne l’empêche pas de bouger ses jambes. Donc, il peut l’appliquer, je ne sais pas, sur les sangles ou sous les cuisses. Il peut soulever sa jambe. Comme ça, le repose-pied, je n’ai pas à m’accroupir pour aller le poser.
Donc, vous voyez, c’est ça le soin de manutention. Mais vu de l’extérieur, vous vous dites : « bah oui, en quoi ça change de quelque chose qu’on pourrait faire aujourd’hui ? ». En soi, dans le visuel, peut-être rien, sauf que quand j’ai la clé de lecture, ça change tout. C’est que là, à aucun moment je n’ai pris de risque, ni pour le patient ni pour le soignant, et que je suis dans une vraie relation de soin. Comme le disait Carole Gayet, c’est vrai que presque dans ce film, on en oublie presque la maîtrise qu’il faut avoir de l’outil qui va s’appeler le rail au plafond ; parce qu’on sait qu’il peut être dangereux. Et donc celui-là, on se doit de le maîtriser. Donc la soignante, elle doit le maîtriser, cet outil.
C’est pour ça que la formation à l’utilisation de l’outil est primordiale. Bien sûr que les soignants, ils ne portent pas la fleur au fusil sur un outil qu’ils ne connaissent pas. Ce qui peut être encore le cas. Donc je le maîtrise, je le connais. Et comme je le maîtrise et je le connais, il n’est plus un problème pour moi dans ma pratique, mon outil de travail, je le connais. La construction du soin, je sais aussi le faire, ça peut donner en fin de compte ce résultat-là qui est un exemple. Donc ce n’est pas une technique, c’est un exemple, c’est une démarche, un soin, c’est la proposition d’un soin qui s’est fait dans ces conditions-là, à ce domicile-là, avec ce patient-là.

Voilà un peu la démarche du soin de manutention ; voilà ce qui peut en être une représentation de ce soin de manutention, mais quand on a les clés de lecture, cette fois-ci, on va se rendre compte que toutes les étapes de la construction du soin ont été respectées.
Alors attention si vous visionnez l’ensemble des films, ils sont tous construits de la même façon, à savoir qu’on ne vous explique pas toutes les étapes et les éléments d’évaluation. On va être très clairs, ce n’est pas la volonté de l’INRS, pour ne pas que ça devienne en fin de compte des outils de formation. Donc, si vous projetez ça des soignants, ils vont le regarder, le film « bah ouais, OK, très bien. Et alors ? » Et alors, oui, il n’y a pas les explications avec.
Donc attention, ce n’est bien que des exemples de soin de manutention, à chaque fois la démarche est respectée ; pour autant, dans les films, vous n’aurez pas l’explication de la démarche étape après étape. Donc, sachez-le. Donc là, vous avez un regard maintenant un peu différent par rapport aux échanges qu’on vient d’avoir, mais attention. Sauf le premier film qui est sur les principes de base, où là va être repris un déplacement qui est le rehaussement dans le lit, où là on va reprendre cette fois-ci les éléments qui constituent ce déplacement. Mais cette fois-ci bien dans la compréhension de ce qu’est le déplacement spontané. Donc le premier film, c’est ça. Et ensuite, ce ne sont bien que des soins qui ont été filmés. Et pour autant, attention, vous aurez tous les éléments, mais tous les éléments ne sont pas dits explicitement.
C’est pour ça que certains visionnent les films en disant : « bah ouais, c’est ce qu’on fait ». Dans le visuel, oui, à la fin, comme j’ai dit, il n’y a pas de magie, on déplace bien toujours un résident de son lit à son fauteuil et on a intégré un rail au plafond. Vous allez me dire : « mais ça, on le fait déjà ». Oui, dans l’absolu, oui, ce déplacement, il peut être fait en utilisant cet outil-là. Si on rentre dans une démarche de soin, cette fois-ci, on va voir qu’on va y mettre bien d’autres éléments que simplement déplacer une personne avec un outil.
Voilà, c’est juste pour que vous ayez attention à la lecture, au visionnage de ces films, que vous n’interprétiez pas en disant « mais je ne comprends pas forcément tout ». C’était un souhait en même temps du départ de l’INRS qu’il n’y ait pas tous les éléments explicatifs dans ces films.

Stéphane Da Silva

Alors, j’ai des questions. Allez-y.

De la salle

Bonjour, j’avais une petite question : pensez-vous que les évaluations GIR soient un frein ou un facilitateur aux démarches ?

Alyson Ledit

Ça dépend pour qui. Pour les équipes, ça n’a pas de sens ; pour moi, personnellement, ça n’en a pas non plus, vu que ça n’évalue pas l’autonomie mais juste le degré de dépendance. Donc non, je dirais, à la réponse. C’est plutôt un frein parce que ça catégorise. Et que même quand on rend compte aux autorités nationales, ARS, qu’ils nous demandent de catégoriser combien on a de GIR dans ces catégories, ça ne veut rien dire. Parce que ce monsieur qu’on a vu, il peut très bien être de GIR 2, peut-être il a des troubles cognitifs, il ne peut pas se déplacer tout seul, mais il est quand même capable de faire plein de choses. Donc en fait, ça ne sert à rien, sauf à avoir des subventions, APA, des choses comme ça. Donc, non.

De la salle

En fait, il faut décorréler les deux évaluations alors.

Alyson Ledit

Très bien, oui. Moi, je pense que c’est deux choses totalement différentes. Oui, il faut décorréler les deux ; l’un n’est pas forcément le reflet de l’autre. Et en plus, l’un n’est pas le reflet de l’autre à chaque moment de la journée, si on a bien compris que le soin de manutention, c’était une évaluation au moment de la rencontre. À un moment de la rencontre, ça ne veut pas dire qu’elle va être fatiguée en fin de journée, mais elle peut aussi avoir appris une très mauvaise nouvelle ou être très en joie, et ça va changer forcément sa façon de se mouvoir. Voilà, dixit la psychomot encore.

Stéphane Da Silva

Alors, est-ce qu’il y a des questions ? Allez-y. Non ? Aucune question ?
Il y a une question là-bas. Il y en a deux. Très bien. Il nous reste encore huit minutes.

De la salle

Alors, moi, j’avais plus une question par rapport aux résidents qui sont dans le refus d’être accompagnés pour faire les toilettes, pour se mouvoir. Quelle serait la démarche à suivre pour les accompagner ?

Alyson Ledit

Alors, on n’a pas très bien entendu, mais je crois que c’est en fait comment accompagner un résident qui serait dans le refus du soin. C’est ça ?
En tout cas, pour ma réponse, il n’y aura pas de formule magique, la personne qui ne veut pas, c’est encore une autre chose, la gestion du soin. En tant qu’ancienne soignante, en tout cas accompagnatrice des équipes, je dirais que c’est important de pouvoir revenir à différents moments de la journée, déjà, de changer la personne aussi avec qui ça peut être fait. La blouse blanche effraie beaucoup de résidents. Le statut de la personne qui fait la toilette peut aussi effrayer.
Il n’y a pas si longtemps, j’ai eu une expérience où en fait, une résidente refuse à toute mon équipe, sans exception. Et moi, je lui ai fait une douche miraculeuse. Je n’ai pas fait du soin de manutention, mais mon statut l’a convaincue que j’étais forcément une bonne personne. Donc je n’aurais pas de formule magique sur ça. Le refus c’est le refus, c’est encore autre chose. Mais je dirais que de faire passer ça dans le relationnel justement, si la personne n’est pas en opposition mais qu’elle refuse juste de l’aide, c’est de la rendre la plus autonome possible : « Écoutez, ce que je vous laisse faire, c’est que je vous laisse vous relever, vous mettre au bord du lit pour que je puisse faire votre lit ». Si la personne est capable de le faire, on n’a pas besoin de faire le soin de manutention. Si elle n’est pas capable de le faire, on trouve d’autres solutions.

De la salle

Ma question, c’est : on sait très bien que dans nos Ehpad où nous travaillons, les décisions par exemple d’utilisation de certains matériels dépendent quand même très souvent de certains responsables. Il y a toujours des réunions de coordination où c’est souvent l’idée qui dit ça, et pour ce patient, il faut utiliser tel matériel.
Or, dans cette démarche, je vois très bien qu’il faut qu’on donne assez de pouvoir aussi à l’aide-soignant, aux soignants qui s’occupent de la personne. Est-ce que dans ce cas, le problème, ce n’est pas déjà de travailler en amont avec les staffs d’encadrement des Ehpad ? Est-ce qu’ils doivent comprendre ça ? Parce qu’à un moment donné, c’est très bien, les gens peuvent faire leur évaluation et refuser carrément le cadre qui dit « mais non, vous n’utilisez pas tel matériel pour telle ou telle raison ». Et je suis d’accord avec vous qu’effectivement, quand on voit l’implication d’une directrice par exemple, c’est plutôt intéressant.
Sauf que dans certains Ehpad, ce n’est pas toujours le cas. Il y a certains directeurs qui ne s’y connaissent même pas, qui ne s’y intéressent même pas et où, à un moment donné, les choses ne se passent pas bien. On dit toujours : pour ça, il faut appeler la psychomotricienne ou alors appeler l’ergothérapeute, la kiné. À chaque fois, il y a quelqu’un qu’il faut appeler. Et pour finir, le soignant, lui, il devient un simple exécutant, il ne peut plus faire cette évaluation.
Est-ce que vous pensez vraiment à cet aspect qui peut être un frein quand même dans certains Ehpad ?

Alyson Ledit

Mais même dans le mien, c’est un frein. C’est un frein parce qu’on parle et on part toujours à partir d’une évaluation qui a été faite au moment de l’entrée du résident. On a tous un super bilan psychomoteur, un EGP pour ceux qui sont les mieux organisés et qui ont vraiment beaucoup le temps, et on part de la grille AGGIR. Donc, on va se dire : il est dans une catégorie de personnes, il arrive à un moment, là, je l’ai rencontré. Souvent, le résident, il est soit en sortie d’hospitalisation et ça ne va pas du tout, soit il vient mais il est un peu contrarié, soit il vient, il est content, mais on ne sait pas comment ça va évoluer.
Donc, cette évolution, elle va se faire tous les jours. Donc, moi, je dirais que même la direction, qu’elle s’y connaisse ou qu’elle ne s’y connaisse pas, elle n’a pas son mot à dire si elle n’est pas auprès du résident ce jour-là.
Après, il y a la réalité du terrain. On a des équipes qui sont de moins en moins formées, enfin, bien formées en tout cas, qui vont avoir aussi cette facilité d’accès à la formation, mais une difficulté à s’exprimer dans la langue pratiquée par les résidents. Alors on est en France, mais au final, ça peut être aussi avec un résident étranger, on ne maîtrise pas sa langue. Donc, il va y avoir des biais comme ça qui vont rentrer en ligne de compte.
Et on a, nous, en tant que direction, en tant qu’IDEC aussi, je pense, et cadre de santé et tout ce qui est cadre intermédiaire, c’est qu’en fait, on a la responsabilité de la sécurité du résident. Donc, quand on voit que les équipes peuvent être un petit peu délétères sur certains aspects, on a tendance à vouloir surprotéger et on repart dans les travers : GIR 2, il faut le rail au plafond, c’est obligatoire ; sans forcément s’interroger sur qu’est-ce qu’il est en capacité de faire. Du coup, je rejoins la dame qui nous a posé la question sur le GIR. La grille qu’on devrait faire, c’est est-ce qu’elle est capable finalement cette personne de le faire au moment où on le fait. Et du coup, de former les équipes pour qu’elles aient cette réflexion. Du coup, on les implique, elles ont une responsabilité. Mais ça veut dire aussi qu’il faut qu’on ait une confiance en eux, il faut qu’on puisse pouvoir avoir confiance en eux. Et ça, ça reste encore cette limite. Je suis d’accord.
Et on a tendance à dire : ne prenez pas de risque. Mais si la consigne c’est : pas de port de charges délétère pour la santé, s’ils sont formés à repérer les étapes du mouvement pour amener du déplacement, ils ont toutes les clés de lecture pour prendre de bonnes décisions. Mais encore faut-il effectivement – et là, je rejoins ce que disait Jean-Philippe tout à l’heure – que tout le monde soit formé dans l’établissement, c’est hyper important.

De la salle

Pour nous, les vacataires qui sommes là…

Alyson Ledit

Alors justement, ça, c’est ce que je vous ai dit tout à l’heure dans mon retour d’expérience. C’est-à-dire que le pari, c’est aussi de se dire : nous, on est indépendant, on travaille dans un endroit où on a des vacataires très réguliers. Donc, c’est mon témoignage où je vous dis, nous, on va les former. On va les former parce que même si elles ne viennent qu’un ou deux jours dans la semaine, toute l’année, on a les mêmes.
Après, on ne fera pas de miracle, d’où la limite que Carole Gayet vous disait : si nous, on prend du temps, de l’énergie et des sous à investir pour former des équipes qui changent tout le temps, c’est ce qu’on va appeler la lassitude au bout d’un moment, on va y mettre les moyens, on va y mettre du temps, de l’énergie et on voit que ça n’a pas fonctionné. Donc, nous – je pense que tous les trois, on se rejoint sur ça –, on appelle justement à ce que la formation initiale continue, que tout ce que vous voulez dans le soin puisse proposer un soin de manutention et que les outils qu’on ne découvre que sur le champ du travail viennent aussi dans ces formations, viennent vraiment former à la base. On aura confiance en nos soignants, eux auront confiance en nous et tout pourra bien se poursuivre.
Je ne sais pas si je réponds, mais en tout cas, c’est la ligne de conduite, l’un ne va pas sans l’autre.

De la salle

Hors micro [1:41:35]

Alyson Ledit

Exactement. Et on garde espoir. Voilà, on garde espoir. Je ne sais pas si la prévention a déjà réuni 200 personnes dans une salle, mais félicitations à vous de venir, de prendre du temps ; je sais que ça prend beaucoup de temps sur tout ce qu’on a à faire.

Carole Gayet

Oui, je pense qu’il faut aussi… on est là aujourd’hui ensemble, ça veut dire que des institutions comme la Cramif, d’autres vous les verrez certainement cet après-midi, mais la Cramif… si vous êtes là, si on est là, c’est qu’il ne faut pas hésiter à demander de l’aide. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de miracle, il n’y a pas de magie, mais effectivement, comme le dit Alyson, si on n’y met pas de l’énergie, si on ne s’engage pas, si on ne s’investit pas, il ne va sûrement pas se passer grand-chose, c’est sûr.
Mais je pense aussi que la configuration est plus bénéfique aujourd’hui. Et n’hésitez pas à demander de l’aide et à informer, à partager l’information, à dire : mais il existe des choses, nous, on ne veut plus ça, on veut fonctionner autrement pour nos résidents, pour nous, pour tout le monde.
Et en fait, c’est ce mouvement-là qui va faire qu’on va réussir à bouger les choses. Puisque ça ne veut pas bouger ailleurs, on va les faire bouger autrement. Et la Cramif est là pour ça et c’est pour ça que cet événement est organisé. Et donc, n’hésitez pas.

Stéphane Da Silva

Très bien. Je pense qu’on est arrivés à l’heure pour ce matin. Merci à nos intervenants sur ce témoignage.

Jean-Philippe Sabathe

Stéphane, peut-être juste pour bien comprendre le soin de manutention, on a une assise qui est exceptionnelle. Et je vous mets au défi qu’un résident puisse se lever ; c’est-à-dire que là, je ne peux pas me lever, et même spontanément, je n’y arriverais pas. Donc là, la hauteur de l’assise – vous essaierez et vous comprendrez – bascule en avant, et là, je n’ai aucun appui à part aller chercher l’accoudoir derrière. Eh bien voilà, typiquement le genre d’assise qui est bien pour nous, donc confortable pour les intervenants, on vous en remercie, il n’y a pas de problème. Heureusement qu’on a des capacités, donc il n’y a pas de souci, on va pouvoir sortir de ce siège et de ce fauteuil.

De la salle

Hors micro [1:43:57]

Jean-Philippe Sabathe

Ouais, mais ne prends pas de risque, je fais quand même mon poids.
Mais donc typiquement, si vous voulez le tester, vous allez comprendre que cette fois-ci, si je fais l’erreur de le proposer à un résident, il risque de ne pas se lever.
Excuse-moi, Stéphane.

Stéphane Da Silva

Mais pas de souci. Merci beaucoup.