La Cramif accompagne la Société des Grands Projets sur la prévention des risques professionnels présents sur les chantiers du Grand Paris Express (GPE). Elle a publié deux guides intitulés « Grand paris express : socle de bonnes pratiques en matière de prévention des risques professionnels » et « Grand Paris : Conception, exploitation et entretien d’une gare ». Geneviève Jarrige revient sur les enjeux en santé et sécurité au travail de ce projet d’ampleur.

Photo de Geneviève Jarrige, ingénieur conseil – CramifGeneviève Jarrige, ingénieur conseil – Cramif

Geneviève Jarrige, ingénieure conseil à la Cramif a en effet été interviewée par la Société des Grands Projets pour revenir sur les actions de la Caisse mise en œuvre ces 10 dernières années sur les chantiers du Grand Paris Express et les avancées en prévention obtenues.

Quels sont les risques supplémentaires avec les chantiers du Grand Paris Express ?

La multiplicité des acteurs, la nécessité de coordination entre eux, les nouvelles technologies, avec notamment l’utilisation de tunneliers, ainsi que le fait de travailler dans un environnement contraint sont sources de risques complémentaires. Les entreprises sont amenées à travailler en souterrain avec des contraintes plus fortes au niveau de l’environnement de travail telles que la nécessité de faire appel à un bureau d’études aérauliques pour dimensionner une installation de ventilation et l’adapter en permanence aux travaux à effectuer ou encore l’installation d’un éclairage suffisant au niveau des postes de travail, des accès et des circulations. Les risques liés aux gaz d’échappement, fumées de soudage, poussières, fibres, aérosols sont également aggravés par l’environnement souterrain et l’exiguïté des postes de travail. Le recours à des engins et à des procédés de soudage électriques, le travail à l’humide ou encore l’aspiration à la source avec rejet de l’air vicié à l’extérieur sont des mesures qui permettent de réduire ces risques…. La technicité, la multiplicité des acteurs et des chantiers et la spécificité des sites sont source de risques supplémentaires sur les chantiers du Grand Paris Express.

En tant qu’organisme de Sécurité sociale, de quelle manière vous accompagnez la SGP pour réduire ces risques ?

En tant qu’organisme de Sécurité sociale et assureur des entreprises, nous assurons un accompagnement sur les projets du Grand Paris depuis plus de 10 ans. Nous avons notamment mis en place un groupe de travail pour définir la stratégie d’accompagnement de la Société des Grands Projets, mais il faut rappeler que ce n’est pas le seul maitre d’ouvrage sur ces chantiers. Par ailleurs, nous avons également rédigé des socles d’exigences communs qui reprennent nos préconisations en terme de prévention. Il s’agit de deux brochures, la DTE 266 « Grand Paris - Travaux souterrains » (2016), et la DTE 278 « Grand Paris – Conception » (2017) spécifique aux gares et donc à la prévention des risques pour les interventions ultérieures sur l’ouvrage.

En amont de ces productions, la Cramif avait rencontré la Société des Grands Projets de façon à ce que ces préconisations soient intégrées dans les pièces marché. À la publication des DTE, une nouvelle rencontre s’est tenue afin que ces brochures soient présentées et la Société des Grands Projets qui a proposé de les intégrer dans la charte sécurité. Cette dernière est annexée au cahier des clauses administratives particulières du dossier de consultation destiné aux entreprises. Il s’agit d’éléments dont les entreprises doivent prendre connaissance avant même de prendre en compte les clauses techniques. Ils en ont ainsi fait des dispositions contractuelles qui s’appliquent à tous les répondants pour les marchés à venir. Cela a été un marqueur d’engagement fort et exemplaire de la part de la Société des Grands Projets.

L’accompagnement de la Société des Grands Projets se fait aussi avec l’intervention des contrôleurs de sécurité qui interviennent sur le terrain afin de contrôler et conseiller les entreprises pour prévenir les risques professionnels et suivre l’évolution des chantiers. Aujourd’hui toutes les lignes du Grand Paris Express sont suivies par une dizaine de contrôleurs. Cela représente 50 % de l’effectif dont l’activité n’est pas consacrée uniquement à ces chantiers. En effet, les contrôleurs de sécurité doivent également mettre en œuvre et déployer des programmes nationaux et régionaux sur le terrain et répondre aux différentes sollicitations quotidiennes par ailleurs (enquêtes AT, sollicitations pour des aides financières, groupes de travail…). On s’est organisé et structuré pour être le plus efficace possible. Ainsi, nous travaillons en réseau avec les CSPS, MOE, MOA, les bureaux d’études et l’Inspection du travail pour couvrir l’ensemble des chantiers.

Près de 200 chantiers par an sont suivis, ce qui représente près de 300 interventions annuelles de la Cramif pour le Grand Paris Express. Concernant les gares, les directeurs de projets de la Société des Grands Projets, les bureaux d’études, les maitres d’œuvre et les CSPS (coordonnateurs de sécurité et de protection de la santé) sont sollicités pour pouvoir intervenir dès la conception auprès de la maitrise d’ouvrage et notamment des architectes pour anticiper les opérations ultérieures sur l’ouvrage et intégrer la prévention à ce stade et ainsi la rendre pérenne.

Est-ce que le côté hors norme du Grand Paris a nécessité une organisation particulière ?

Comme abordé précédemment nous avons lancé une dynamique de réseau, à commencer par la création du groupe de travail qui avait pour vocation d’identifier, de remonter et de partager des retours d’expériences sur ce type de chantiers et ainsi de permettre une montée en compétences des équipes. Le service formation de la Cramif et des préventeurs ayant une expérience et des compétences sur les travaux souterrains et sur les tunneliers ont mis en place un module de formation sur 2 jours auquel des contrôleurs de sécurité, des ingénieurs conseil et des inspecteurs du travail ont participé. Puis nous avons capitalisé et synthétisé toutes les bonnes pratiques de prévention des chantiers du Grand Paris Express pour les partager avec les collègues du groupe de travail et les promouvoir et les déployer sur les autres chantiers. Dans le cadre de la promotion de ces bonnes pratiques nous avons attribué deux trophées Cramif en 2022. La Société des Grands Projets a été associée au comité de direction pour choisir parmi l’ensemble des sujets proposés sur l’Île-de-France, les trophées sélectionnés. La multiplicité des chantiers, l’ampleur des travaux, le potentiel de vente identifié par les différents fournisseurs et la récurrence des nos préconisations sur l’ensemble des chantiers d’Ile-de-France et auprès des différents intervenants, ont fait avancer la prévention et poussé les entreprises dans l’innovation. Pour exemple, la mécanisation de l’accès aux postes de travail au-delà de 13,50 mètres est une ancienne recommandation de la Cnam que nous avions beaucoup de difficulté à faire appliquer notamment en phase de creusement. Par ailleurs, la Cramif demandait à ce que ce dispositif soit rallongé au fur et à mesure de l’avancement des travaux. Après de nombreux échanges, courriers recommandés et parfois recours à des outils plus coercitifs, nous sommes parvenus à obtenir la mise en place de ce type de dispositif. Ainsi, aujourd’hui en phase gros œuvre, 90 % des puits sont équipés d’un ascenseur dès 13.5  m de profondeur et prolongés à l’avancement. C’est une des belles réussites concrètes de notre action sur ces chantiers. Cependant, le maintien des visites sur les chantiers et des interventions en conception reste primordial pour assurer la prévention des risques professionnels.

Quelles sont les types d’actions menées sur le terrain ?

Les visites de contrôle et de conseil des chantiers ainsi que la participation aux CISSCT, qui sont les réunions animées par les CSPS qui traitent des sujets de prévention en lien avec la co-activité des entreprises, sont l’occasion d’assurer un suivi et d’échanger avec la Société des Grands Projets. Ces interventions permettent d’observer les situations de travail réel, d’identifier les risques professionnels associés et de prescrire la mise en place de mesures de prévention afin de soustraire les salariés aux risques et d’améliorer les conditions de travail. Le laboratoire de toxicologie industrielle, le centre de mesures physiques et le laboratoire des biocontaminants sont également sollicités pour effectuer des mesurages sur les chantiers (exposition aux poussières, aux fumées de soudage, aux EMD, aux moisissures, etc.) et préconiser les mesures de prévention associées. Par ailleurs, l’intégration de la prévention en amont dès la conception des gares a fait l’objet d’échanges avec la Société des Grands Projets auxquels les laboratoires ont été associés selon les thématiques de risque traitées.

Dans les années à venir que souhaiteriez-vous mettre en place ?

Nous avons capitalisé des bonnes pratiques professionnelles et désormais nous souhaitons les déployer. Une fois les bonnes pratiques capitalisées, elles intègrent le socle minimum d’exigences en prévention imposé aux futurs chantiers. C’est une démarche d’amélioration continue qui permet de tirer les entreprises vers le haut en matière de prévention. Cependant au fur et à mesure de l’avancement des chantiers, avec l’arrivée des JO et des échéances qui avaient été communiquées on constate que la qualité de travail et la prévention tend à se dégrader avec la pression financière, politique et temporelle. Une fois les phases de gros œuvre terminées, on passe à la mise en œuvre des lots « système » et « aménagements » et c’est souvent beaucoup plus compliqué. La continuité des moyens communs (ventilation, ascenseur, protections collectives contre les chutes, ...) n’est pas toujours effective. Ce constat est partagé avec la maitrise d’ouvrage avec laquelle un travail est réalisé pour prévoir et mettre en place une organisation permettant d’y remédier. Des gestionnaires de sites ont été désignés pour veiller sur site à cette continuité. Chaque entreprise est garante de la santé et de la sécurité de ses collaborateurs cependant la création d’un lot indépendant dédié aux équipements de protection collective et à leurs adaptations à l’activité éviterait les nombreux risques graves d’atteintes à la santé (TMS, chutes, heurt et écrasement, ...) liés aux opérations de montages/démontages/remontages et permettrait de surcroît un gain de temps.

Dans les perspectives, une capitalisation des bonnes pratiques sur les tunneliers pourrait être envisagée. Malheureusement, malgré toutes les mesures et préconisations, il y a eu des accidents graves et mortels sur les chantiers, des enquêtes sont menées au cours desquelles nous échangeons avec la maitrise d’ouvrage, les CSPS, l’inspection du travail et les entreprises pour identifier les déterminants à l’origine de ces accidents afin de les prévenir et d’éviter qu’ils se reproduisent. Ces situations sont traitées prioritairement et font l’objet d’une attention très particulière lors de nos interventions sur site ou lors de réunions.

Est-ce qu’un projet atypique comme le Grand Paris Express permet de tester d’autres types d’interventions ?

Effectivement, le chantier du Grand Paris Express nous a permis de monter en compétences car nous n’avions jamais été confrontés à un chantier d’une telle envergure. Nous avons pu avoir une action concertée sur des problématiques bien identifiées vers les entreprises et ainsi faire progresser la prévention. J’ai évoqué précédemment le cas de la mise en place des ascenseurs mais ce n’est pas la seule avancée. En effet, lors de la réalisation des parois moulées, que l’on retrouve dans différents chantiers, y compris en dehors du Grand Paris Express, les salariés sont exposés à un risque de chute en tête de parois moulées du fait du vide entre les murettes guides. Jusque-là le sujet n’avait pas été particulièrement traité mais les chantiers du Grand Paris Express en ont été l’occasion. Les entreprises ont développé des outils à partir de nos remarques et préconisations et désormais elles utilisent systématiquement une plateforme avec des protections collectives pour éviter le risque de chutes quelque-soit la phase d’avancement. Ça a été une réelle opportunité pour faire évoluer la prévention des risques de chutes avec un impact qui dépasse les chantiers du Grand Paris Express.

Quelles sont les étapes de ce processus de développement des bonnes pratiques ?

On se réunit environ 4 fois par an avec les collègues du groupe de travail. Au cours de ces réunions, l’actualité des chantiers, la sinistralité, les actions en cours et les risques et bonnes pratiques observés sont partagés. Des visites conjointes sont également organisées pour observer les bonnes pratiques de prévention développées et les déployer à plus grande échelle. Il y a également les nombreuses publications éditées par la Cramif sur lesquelles nous recommandons aux entreprises de s’appuyer. Sur les chantiers du Grand Paris Express, les remontées sur les risques spécifiques et situations observées sur le terrain ainsi que les bonnes pratiques de prévention ont été capitalisées. Ces dernières feront l’objet d’une brochure qui paraitra prochainement.

À quelle fréquence sont les échanges avec la Société du Grand Paris ?

Nous avons des échanges de différent ordre. La Société des Grands Projets a été exemplaire en intégrant nos recommandations dans leurs pièces marché en amont de la consultation engagée avant le lancement du chantier. Nous avons été également associés à la relecture des PGC harmonisées. Nous rencontrons par ailleurs régulièrement sur site des interlocuteurs de la Société des Grands Projets. Ils ont un référent sur chaque ligne de gares. Les réunions de CISST, et de cellule des gestions secours sont également l’occasion d’échanges avec la maitrise d’ouvrage. Cependant en situation de risques identifiés, La Société des Grands Projets est le maitre d’ouvrage et la Cramif est l’assureur des entreprises qui interviennent sur les chantiers. La Cramif est donc amenée parfois à devoir alerter et rappeler ses obligations à la Société des Grands Projets par courrier recommandé ou lors de réunions.

Est-ce que vous avez des statistiques pour dresser un état des lieux sur les entreprises qui interviennent dans les SGP ?

Les statistiques par ligne sont présentées par les CSPS mais actuellement il n’y a pas statistiques globales existantes qui pourraient être publiées. Par ailleurs il y a de plus en plus d’entreprises étrangères (belge, suisse, chinoise, etc.) qui interviennent sur le Grand Paris Express et ces entreprises ne relèvent pas du régime général, de la Sécurité sociale et ne sont donc pas assurées par nos soins. Malgré cela, elles travaillent avec des salariés d’entreprises relevant du régime général et peuvent exposer à des risques éventuels des salariés que nous assurons. C’est une réelle difficulté, les cultures de prévention d’un pays à l’autre n’étant pas les mêmes. Nous n’avons pas forcément de levier d’action. C’est sur ce point que le rôle de la maitrise d’ouvrage, de l’inspection du travail et du réseau est important. Ils deviennent les acteurs prioritaires et vers lesquels on renvoie les situations de risques constatées. En revanche les statistiques régionales de sinistralité dans le BTP sont accessibles sur notre site Cramif.fr.

Quel accompagnement a été assuré en période COVID ?

La Caisse nationale d’Assurance Maladie a demandé la rédaction d’une fiche à destination des maitres d’ouvrage pour les accompagner dans la reprise d’activité au regard de la propagation du virus afin de mettre en avant des mesures de prévention à prendre en place. C’est une composante sanitaire qui a été ajoutée à l’ensemble de nos préconisations.

Est-ce que des vous avez des mesures concrètes que vous souhaiteriez ajouter ?

Effectivement, concernant les interventions ultérieures sur l’ouvrage, l’accès en toiture et l’entretien des façades sont systématiquement abordés lors des réunions de conception des gares. Nous demandons d’installer un accès sûr et ergonomique à la toiture de type escalier et d’avoir des protections collectives continu contre le risque de chute sur toute la périphérie de la toiture. Les architectes peuvent être peu réceptifs à ces recommandations pour des raisons avancées « d’esthétique », cependant d’autres solutions intégrant leurs exigences peuvent être trouvées. La présence de toitures végétalisées ou de panneaux solaires en toiture présagent de situations de risques à venir lors des interventions ultérieures sur l’ouvrage (chutes, manutentions manuelles, électrique, ...).

10/04/2024